Notre cote : ★★★
CFC-Éditions publiait, pas plus tard qu’hier, Cinéma ABC. La nécropole du porno, un ouvrage de Jimmy Pantera. ABC pour « Art Beauté Confort », un cinéma situé de 1972 à 2013 aux numéros 147 et 149 du Boulevard Adolphe Max, qui promettait d’y voir des films « plus qu’inattendus ». Le Cinéma ABC fut le dernier cinéma porno bruxellois à projeter des films en 35 millimètres accompagnés de live shows de stripteaseuses, un des derniers au monde même.
Richement illustré de photos d’exploitation – pratiquement toutes suffisamment censurées que pour que les bienpensants puissent continuer à bien penser –, de cartons, d’affiches de films et de panneaux promotionnels, ce livre a le mérite d’exister ne fût-ce que parce que, comme l’explique le philosophe Laurent de Sutter, qui préface l’ouvrage, « il n’existe sans doute aucune différence entre une salle de cinéma pornographique, et une salle qui ne le serait pas ». D’où l’intérêt, aussi, de mettre en avant ce type de cinéma via la présentation d’un livre dédié à un lieu qui l’a accueilli pendant pas moins de 41 ans. Et d’ajouter qu’il faut aimer tous les types de cinéma, pornographique inclus car « leur disparition signalera sans doute que les êtres humains, alors, auront perdu une manière de désirer ».
Jimmy Pantera précise dans l’avant-propos de son livre que les stripteaseuses – celles de l’ABC donc notamment – « symbolisaient pour leurs dévots un simulacre platonicien, celui de l’allégorie de la caverne ». Un avant-propos dans lequel il détaille que l’ABC représentait pour d’aucuns « l’ultime cercle de l’enfer d’un genre cinématographique pulsionnel honni (…) abîme du septième art, mais aussi cimetière de la morale ». C’est dans ce cercle que nous sommes invités à pénétrer.
Pantera ne manque pas de souligner l’importance du cinéma Nova et de son équipe dans la naissance de son dernier bébé. C’est en effet ce lieu très spécial du septième art qui est le conservateur des archives de l’ABC. Il met d’ailleurs régulièrement à l’honneur le patrimoine de ce dernier, notamment via la projection de films qui y ont été diffusés. On y apprend ainsi avec intérêt que l’ABC offrait au spectateur un « luxe cinéphilique rare avec cent pour cent de films projetés en pellicule », soit davantage que le Musée du Cinéma de la Cinémathèque royale !
Plus loin, parole ou plutôt plume est donnée à JJ Marsh, historien du cinéma pornographique et fondateur de l’Erotic Film Society, qui partage avec le lecteur nombre d’anecdotes vécues lors de ses passages à l’ABC. Il explique ainsi y avoir retrouvé une habitude qu’il avait adoptée lors de ses visites dans les cinémas pour adultes de Londres durant les années 1980. Il s’asseyait « sur une revue chrétienne évangélique américaine ramassée dans le métro ». Point de cela à l’ABC mais, en lieu et place de la revue chrétienne, « un dépliant du magasin de téléphonie mobile voisin ». Il nous raconte qu’il vivait le court délai précédant la montée sur scène de la danseuse sur le point d’effectuer un striptease comme une plongée dans les limbes, allant jusqu’à se demander si le monde extérieur n’avait pas disparu, si lui et les autres spectateurs allaient « passer l’éternité à attendre une stripteaseuse qui n’arriverait peut-être jamais. » Soit « une variation classée X d’En attendant Godot », ajoute-t-il. Des stripteaseuses qui étaient parfois suivies « par deux ou trois spectateurs en quête de suppléments ou dévorés par un optimisme libidineux ». Il met lui aussi en avant le labeur du cinéma Nova et de ses bénévoles dans le travail de déménagement, de conservation et de restauration des copies de l’ABC, ainsi que l’importance du Festival Offscreen, « consacré au cinéma de genre » déviant » et organisé depuis 2008 dans différents lieux bruxellois, dont le cinéma Nova ». Savoureux aussi est son questionnement quant au décor des toilettes, de couleur rouge. Il y voit possiblement une association avec « chaleur, passion, sang ou encore enfer ».
Vient ensuite une section de près de 80 pages intitulée « Pornorama », dans le préambule de laquelle nous apprenons par exemple que si l’ABC possédait, parmi ses milliers de bobines, des longs métrages X cultes, on y découvrit aussi des œuvres très peu connues, proposant de nouvelles perspectives sur certains pans de l’histoire du cinéma, comme Seven Delicious Wishes, un porno de Lloyd Kaufman, futur créateur de la compagnie Troma et son célèbre Toxic Avenger. Et puis cela va des stags aux Nudies et Roughies américains, des grindhouses aux États-Unis toujours, et du mondo italien au Porno chic, en passant par les Glamour films en Angleterre.
Dans « Défense d’afficher », sont présentés des documents pouvant être répertoriés en cinq catégories : pavés de presse, dossiers de presses, affiches de cinéma, photos d’exploitation, et panneaux peints et cartons typographiques.
« Parade du charme » regroupe une quinzaine de récits de témoins de l’histoire de l’ABC, comme ceux de l’avocat Alain Berenboom, du cinéaste Roland Lethem, du docteur en histoire Nicolas Lahaye ou encore de stripteaseuses de l’ABC et de projectionnistes qui ont permis au cinéma d’exister pendant plus de quarante ans.
JJ Marsh voit dans la disparition du cinéma ABC « la fin d’une époque ». Cinéma ABC. La nécropole du porno vous permettra de prolonger, le temps de sa lecture, la magie d’une partie de l’histoire du cinéma bruxellois !
Expo à la Maison CFC et soirée au Nova
L’exposition Cinéma ABC. La nécropole du porno se tient aujourd’hui et demain, samedi 19 septembre, à la Maison CFC, rebaptisée pour l’occasion Maison ABC. On peut y découvrir une sélection d’affiches et de visuels promotionnels de films présentés à l’ABC.
Enfin, ce samedi, encore, une soirée ABC sera organisée au cinéma Nova avec, au menu : films, longs et courts métrages confondus, surprises et rencontre avec l’auteur. Plus d’infos sur nova-cinema.org !
Nos cotes :
☆ Stérile
★ Optionnel
★★ Convaincant
★★★ Remarquable
★★★★ Impératif
Jean-Philippe Thiriart
Voici un an, Jean-Pierre Mocky nous quittait. Un an déjà…
Figure inclassable du cinéma français, Jean-Pierre Mocky se distingue par la diversité de ses productions, leurs diffusions particulières, l’éventail d’acteurs et de collaborateurs présents dans ses films – unique dans le cinéma français – et la longévité de sa carrière qui va de 1959 jusqu’à son décès voici un an. Sa filmographie est l’une des plus étonnantes de l’espace francophone. Acteur puis assistant réalisateur, Mocky, que rien n’arrête ni ne fait taire, a écrit, réalisé, produit et distribué ses films, passant par le pire comme le meilleur, refusant sans cesse les compromis et se foutant toujours des bienséances.
Personnage haut en couleur, sur Internet notamment, avec des séquences cultes comme celles du Parapluie de Cherbourg de l’émission Strip-tease, il confiait volontiers : « Je suis souvent en colère. Ça me maintient en forme. »
Metteur en scène pour le moins actif, Jean-Pierre Mocky a réalisé notamment plus de 70 longs-métrages. Après 76 ans de carrière cinématographique au compteur, il comptait bien mourir en travaillant.
D’aucuns le considéraient comme un voyou du cinéma. Lui qui s’est parfois mis en marge de la société en commettant des films qui ne laissent pas indifférents. Rien d’étonnant qu’il voyait en Henri-Georges Clouzot un cinéaste qui « entrait dans le vif ».
Il aimait dire que Von Stroheim, Fellini, Welles, Tati, Linder, Vigo faisaient partie de ceux qui l’aidaient d’une certaine manière.
La musique joue un rôle important dans les films de Jean-Pierre Mocky. Nous pensons notamment à la très belle partition de Solo, signée Moustaki. Mais aussi à celles d’Agent trouble ou encore des Saisons du plaisir, de Gabriel Yared et Jorge Arriagada.
Celui qui a un jour officié sous le nom pour le moins sympathique de « Serge Batman » pour le film Les couilles en or signait le magnifique Solo dans le contexte des événements de mai 68. Un film qu’il réalisait, mais dans lequel il « faisait aussi l’acteur », comme il disait.
La « Nouvelle vague » à ses yeux ? Un « non-respect des règles de la mise en scène, tel un musicien qui ne tient pas compte des notes ».
Grand ami de Bourvil, un de ses acteurs-fétiches avec Michel Serrault, Jean-Pierre Mocky avait dirigé avec bonheur Jacqueline Maillan dans Les saisons du plaisir, prête à toutes les folies disait-il mais aussi Catherine Deneuve, qui n’était pas en reste dans Agent trouble.
Voici un peu plus de deux ans, le Ciné Club de l’INSAS avait invité Jean-Pierre Mocky à Bruxelles, au cinéma Nova. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir alors les nombreuses facettes du phénomène Mocky. Celle, aussi, d’un voyage transversal dans le cinéma français, pour aller y goûter d’un sentiment de liberté foutraque, excitant et souvent hilarant. Retour sur cinq de ses films, sélectionnés par les programmateurs du Ciné Club voici deux ans.
La cité de l’indicible peur (1964, 85′)
Farce jubilatoire, peuplée de bons mots, de personnages absurdes et inoubliables, entre cinéma français de papa et épisode foutraque de Scoubidou, adapté de Jean Ray, dialogué par Queneau, interprété par Bourvil, Francis Blanche, Raymond Rouleau, Jacques Dufilho, Jean-Louis Barrault, Jean Poiret (un casting de rêve donc), un chef d’œuvre de Jean-Pierre Mocky, emblématique de sa première période.
Solo (1969, 89′)
Solo est le premier volume d’une trilogie informelle qui continuera avec L’Albatros (1971) et L’Ombre d’une chance (1973). Ces trois films, uniques dans le parcours de Mocky, constituent un pan beaucoup plus noir, sec, nerveux de son univers. Alors que l’on fêtait lors de la venue à Bruxelles de Mocky l’anniversaire de Mai 68, Solo, réalisé un an après les événements, semble déjà sonner le glas de l’utopie révolutionnaire. La désillusion imprègne le film et Vincent Cabral, le héros, interprété par Mocky lui-même, impuissant, assiste à la débâcle. Un polar politique, violent et lumineux.
Robin des mers (1987, 80′)
Armé de son courage et de sa perspicacité, le jeune Robin des mers se lance dans une véritable entreprise : retrouver du travail pour tous les chômeurs de son village. Robin croisera sur sa route des politiciens véreux – comme souvent dans les films de Mocky – mais aussi des foules en colère, un énarque en slip dans un arbre, des foules joyeuses… Un conte enivrant et plein d’humour malheureusement trop méconnu entre drame social, western et comédie.
Une nuit à l’assemblée (1988, 88′)
Michel Blanc, militant naturiste, à poil pendant cette heure et demie de film, tente de tirer au clair une sombre histoire de corruption de légion d’honneur. Mocky fit reconstruire l’intérieur de l’Assemblée nationale en studio et invita la quasi-intégralité de ses acteurs fétiches, plus quelques belles prises (Darry Cowl, Bernadette Lafont, Josiane Balasko, pour n’en citer que deux) dans ce film qui, sorti une année d’élection présidentielle, lui valut des ennuis et l’obligea à tourner dorénavant sous les radars. Un classique du cinéma de Mocky !
Dossier Toroto (2011, 64′)
Le professeur franco-japonais Toroto, inventeur d’un sérum pour faire grossir des tomates et des lapins, engage un jeune apprenti qui ingurgite par inadvertance ledit sérum et se retrouve pourvu d’un membre gigantesque – ce qui ne va pas sans provoquer certaines convoitises… Une « connerie », du propre aveu de Mocky. Fauchée et foisonnante, cette farce underground dynamite les convenances dans un capharnaüm jouissif…
Jean-Philippe Thiriart
Crédit photo : Cédric Bourgeois
Crédits vidéo : Cédric Bourgeois (captation) et Diamant I. (montage)