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Philippe Nahon, cinq ans déjà – Retour sur notre rencontre avec le plus belge des comédiens français

Philippe Nahon, cinq ans déjà – Retour sur notre rencontre avec le plus belge des comédiens français 450 302 Jean-Philippe Thiriart

Cinq ans déjà que le comédien français Philippe Nahon nous a quittés. Près de dix ans plus tôt, nous avions eu le bonheur de nous entretenir avec lui au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), où il était venu présenter La Meute, de Franck Richard, au sein de la Compétition 1ère Œuvre de fiction. Ce thriller horrifique sera projeté une nouvelle fois à Cannes cette année, lors de la 78e édition du Festival, dans le cadre de l’hommage que la grand-messe du cinéma mondial a choisi de rendre à Émilie Dequenne. La comédienne belge partageait en effet l’affiche de La Meute avec Philippe Nahon.

Notre rencontre avec cet acteur iconique du cinéma de genre fut l’occasion de revenir ensemble sur une carrière alors longue de près de cinquante ans, qui l’avait vu croiser les chemins de réalisateurs comme Jean-Pierre Melville, Gaspar Noé, Mathieu Kassovitz, Jacques Audiard, Benoît Mariage, Alexandre Aja, Fabrice du Welz, Alain Corneau, Bouli Lanners ou encore Luc Besson. Et ceux de comédiennes et de comédiens belges tels que Yolande Moreau, Cécile de France, Benoît Poelvoorde, François Damiens, Philippe Grand’Henry et Jean-Jacques Rausin.

Philippe Nahon était un grand monsieur, un amoureux de son métier, qui avait su rester simple.

Philippe Nahon était venu présenter La Meute au FIFF
Crédit photo : Damien Marchal

J’aimerais vous demander quelques mots sur La Meute, que vous venez présenter ici au FIFF, qui fête cette année ses vingt-cinq ans.

C’est une histoire assez sombre : celle d’une jeune femme qui prend en stop un hitchhiker(NdA : un autostoppeur) et s’arrête dans un routier assez bizarre. La tenancière, c’est Yolande Moreau. La jeune femme, c’est Émilie Dequenne. Et le jeune homme qui est pris en stop, c’est Benjamin Biolay. Et tout à coup, le jeune homme disparaît en allant aux toilettes. La jeune femme est quand même très inquiète. Elle attend, puis arrive un ancien flic sur le retour, qui lui propose de faire quelque chose pour elle. Elle explique que ce n’est pas nécessaire. Mais moi, je lui prends quand même son numéro de téléphone. Et comme je suis dans ma roulotte et que je m’emmerde un peu, je lui téléphone. À ce moment-là, j’entends des cris horribles. Et là, le film démarre vraiment. Il y a quelques très bons moments, assez drôles. Pour une fois, je suis très drôle dans un film.

Dans Haute Tension, vous l’étiez aussi…

Oui, c’est vrai ! Cela dit, Haute Tension, il ne faut pas le prendre au premier degré. (Il rit.) Mais j’ai beaucoup aimé faire le film.

Et jouer avec Cécile de France.

Jouer avec Cécile, c’est formidable !

En 2005, Arnaud Cafaxe vous consacrait un documentaire, intitulé Philippe Nahon, de l’acteur fétiche à l’icône. Est-ce que Philippe Nahon, c’est plutôt l’acteur fétiche, l’icône ou un peu des deux ?

Un peu des deux. J’ai été invité pour la première fois à un festival qui a lieu en Franche-Comté, à Audincourt, qui s’appelle le « Bloody week-end ». Ça veut dire ce que ça veut dire ! Je me suis rendu compte que j’avais vraiment une multitude de fans, que j’étais l’acteur français qui incarnait, à leurs yeux, la figure emblématique du film de genre, de Calvaire à Haute Tension, en passant par La Meute.

Comment décririez-vous le lien qui vous unit à Gaspar Noé, dont vous êtes l’acteur fétiche ? Vous êtes présent dans tous ses longs métrages, hormis Enter the Void.

Il est très indépendant. Il va jusqu’au bout de ses idées, de son propos. Il y va ! C’est pour ça que je trouve que c’est un grand bonhomme. Je dois lui dire « merci », d’ailleurs, parce que c’est grâce à lui que je suis encore là aujourd’hui, que je suis là aujourd’hui.

Et vous êtes là depuis 1962, depuis Le Doulos, réalisé par Jean-Pierre Melville il y a près de cinquante ans déjà !

Oui : c’était mon premier film ! Je revenais de la guerre d’Algérie et six mois après, je tournais Le Doulos, qui me voit mourir dans les bras d’Adjani. Ils ne m’ont pas eu là-bas, en Algérie, mais je meurs dans les bras d’Adjani ! (Il rit.) Mais bon, je préfère mourir dans les bras d’Adjani.

On a évoqué Melville et Gaspar Noé, mais il y a eu aussi Kassovitz, Audiard, Besson… Et puis de jeunes réalisateurs comme Fabrice du Welz.

C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de jeunes réalisateurs comme Fabrice du Welz. Après Noé et Seul contre tous.

Philippe Nahon, Seul contre tous chez Gaspar Noé

Avez-vous constaté une évolution au niveau du travail de réalisation ?

Je ne me rends pas compte de la technique. Je ne suis pas un technicien. Dans ce métier, je suis devant la caméra. On m’a d’ailleurs plusieurs fois demandé pourquoi je n’allais pas derrière. Je réponds que je ne pourrais pas. Je préfère être devant. Et je crois que je le serai tant que je pourrai respirer, marcher, courir et tomber. Le plus tard possible. (NdA : Philippe Nahon était encore devant une caméra en 2018, celle d’Aurélia Mengin, qui l’a dirigé dans le drame Fornacis.)

Vous alternez les petites et les grosses productions, vous qui êtes tantôt à l’affiche d’un film comme Les convoyeurs attendent, de Benoît Mariage, tantôt à celle du Adèle Blanc-Sec de Luc Besson, notamment.

Oui, tout à fait ! Ou avec Corneau et son film Le Deuxième Souffle. On est tranquille, pénard : on peut s’installer dessus, on peut s’installer dedans. Et puis plein de courts métrages où il n’y a pas un rond. Plein de films qu’on fait à l’arrache pour la même raison.

C’est important pour vous d’aider de jeunes réalisateurs ?

Oui, bien sûr. Si je n’ai pas de trucs à faire, je le fais. Parce que j’ai envie de les aider, parce qu’ils le méritent, parce qu’ils en crèvent de ne pas pouvoir mettre bas, de ne pas pouvoir enfanter leurs projets. Et moi, ça me fait mal au cœur de voir des scénarios dans des tiroirs, qui ne voient jamais le jour. Les jeunes réalisateurs ont souvent pas mal de rage. Mais je n’ai pas envie non plus de faire du cinéma commercial. Ça ne m’intéresse pas.

Pourtant, vous en avez eues, de telles propositions…

Oui, j’en ai eu plusieurs, que j’ai refusées. Je perdrais le potentiel d’amitié que j’ai avec les jeunes qui croient en moi. Fabrice du Welz m’a dit que j’étais un dieu vivant à Toronto !

Cela ne nous étonne pas !
Les films dans lesquels vous jouez s’adressent souvent à un public averti mais vous avez également prêté votre voix au seigneur Arnold dans Chasseurs de dragons. Comment cela s’est-il passé ?

En réalité, j’avais déjà fait des doublages pour des séries et des films qui venaient d’Allemagne, des États-Unis ou d’Italie. Et là, les réalisateurs du film Chasseurs de dragons avaient envie que je sois Arnold.

Vous avez pas mal bossé en Belgique…

Je vais prendre la nationalité belge. Je vais demander l’asile politique. C’est peut-être dangereux mais en tout cas, c’est moins dangereux que chez nous ! (Il rit.)

Y a-t-il, selon vous, des choses inhérentes au cinéma belge, qui font de lui un cinéma particulier ?

Les productions sont faites un peu à l’arrache. Ce n’était pas une grosse production avec Bouli pour Eldorado. Ce n’était pas non plus une énorme production avec Fabrice. J’adore venir en Belgique parce que ce sont des gens simples qui ne se la pètent pas du tout, qui font leur boulot très honnêtement. J’ai été accepté. J’ai acheté une maison en Bretagne, par exemple, en me demandant s’ils allaient m’accepter. Et, au bout d’un mois, ils m’ont tous accepté. Là-bas et en Belgique.

Dans MR 73, d’Olivier Marchal, Philippe Nahon livre, une fois de plus, une très grande prestation

Dans Haute Tension, vous jouez une scène armé d’un rasoir, scène que l’on imagine périlleuse. Il y a eu deux prises, pas une de plus…

J’avais très peur car je devais aller vite. Il ne fallait pas non plus la faire dix fois. On a fait une répétition et puis on a, en effet, fait deux prises. Giannetto De Rossi, le maquilleur italien du film (NdA : celui-là même qui avait œuvré sur le Dune de David Lynch), m’avait montré comment il fallait procéder pour, tout de suite, trouver le petit filet où passer le rasoir. La lame était bien sûr complètement émoussée mais j’avais peur de la toucher, malgré l’épaisseur de la protection qu’elle avait.

Vous avez tourné avec pas mal d’acteurs belges : Bouli Lanners et Cécile de France donc, Benoît Poelvoorde, Jean-Jacques Rausin

Avec François Damiens et Philippe Grand’Henry aussi, qui faisait mon fils dans Calvaire.

Un film hyper singulier, comme tous les films de Fabrice du Welz d’ailleurs.

Calvaire, tout le monde m’en parle. Il a fait Vinyan aussi…

Qu’est-ce qui fait, selon vous, qu’il faut absolument voir Calvaire ?

La scène de la danse dans le café est extraordinaire ! Et puis cette espèce de type paumé dans les bois et tous ceux qui rêvaient de cette femme partie.

Qui est revenue… sans vraiment revenir !

Qui est revenue… sans vraiment revenir ! (Il rit.) Et tout le monde lui court après, jusqu’à vouloir la tuer.

Philippe Nahon dans Calvaire, le premier long métrage de Fabrice du Welz

Si quelqu’un souhaitait réaliser un remake d’un des films dans lesquels vous avez joué, lequel serait envisageable ? Je pense à un réalisateur comme Alexandre Aja par exemple, qui en a fait quelques-uns maintenant.

Si c’était pour refaire Seul contre tous, je crois que ça ne marcherait pas. C’est moi qui ferais le remake ! (Il rit.)

Avec un passage derrière la caméra pour ce film-là alors ?

Ah non, devant toujours !

S’il y avait un personnage que vous rêveriez d’interpréter, quel serait-il ? Vous avez souvent interprété des personnages assez durs, des flics ripoux aussi…

Il y en 50°000 ! Je regarde tout ce qu’on me propose et si ça me plait vraiment et que je suis libre, je dis oui !

Merci à Damien Marchal pour son aide lors de la réalisation de cette interview !

Jean-Philippe Thiriart

Photo de couverture : Philippe Nahon lors de sa venue dans la capitale wallonne
Crédit photo : FIFF – Mara De Sario