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Prix French Touch du Jury de la Semaine de la Critique à Cannes pour IL PLEUT DANS LA MAISON : retour en interviews sur le premier film de Paloma Sermon-Daï, PETIT SAMEDI

Prix French Touch du Jury de la Semaine de la Critique à Cannes pour IL PLEUT DANS LA MAISON : retour en interviews sur le premier film de Paloma Sermon-Daï, PETIT SAMEDI 1920 1080 Jean-Philippe Thiriart

La 76e édition du Festival de Cannes s’est clôturée avant-hier. Section indépendante importante de la grand-messe du cinéma consacrée à la découverte de jeunes talents de la création cinématographique, la Semaine de la Critique a notamment sacré cette année Il pleut dans la maison, premier long métrage de fiction de la Belge Paloma Sermon-Daï. Le jury de la Semaine lui a en effet décerné son Prix French Touch.

Nous n’avons pas encore pu découvrir Il pleut dans la maison mais c’est l’occasion pour nous de revenir sur le premier long métrage de la réalisatrice namuroise. Il s’agit cette fois d’un documentaire : Petit Samedi.
Nous avions interviewé Paloma à l’issue du 35e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), où elle avait reçu le Bayard d’Or, récompense suprême du Festival de la capitale wallonne, mais aussi le Prix Agnès de l’imaginaire égalitaire, venu récompenser le regard original et novateur dont son œuvre témoigne. Le FIFF, où aura d’ailleurs sans doute lieu la première belge de Il pleut dans la maison.
Nous avions à nouveau tendu notre micro à la jeune réalisatrice l’année dernière, lors des 11e Magritte du Cinéma, où son Petit Samedi avait remporté le Magritte du Meilleur documentaire.

Paloma Sermon-Daï et Petit Samedi aux 11e Magritte du Cinéma…

Crédit vidéo : Gerardo Marra

… et au 35e FIFF !

Le FIFF consacre Petit Samedi !

À Namur, Petit Samedi avait donc d’abord remporté le Prix Agnès de l’imaginaire égalitaire. Membre du Jury Longs métrages, l’actrice française Daphné Patakia déclarait que ce dernier avait « trouvé un des deux personnages principaux du film très inspirants ». Avant d’ajouter que « nous manquons de ce genre de personnages au cinéma ».

Très contente, Paloma Sermon-Daï déclara : « Je remercie mes producteurs, qui m’ont fait confiance pour ce premier long métrage. Je pense évidemment à ma famille et à mes proches. Je pense très fort à ma maman et à mon frère, sans qui ce film n’existerait pas. Je les remercie énormément d’avoir partagé leur histoire. Je voudrais aussi remercier, symboliquement, l’équipe technique. Je pense notamment à Frédéric Noirhomme, Thomas Grimm-Landsberg, Fabrice Osinski, Lenka Fillnerova et Aline Gavroy. Je remercie le FIFF et je vous remercie tous ; merci beaucoup ! »

Le moment venu de décerner le Bayard d’Or, ce fut au tour du réalisateur français Samuel Benchetrit, président du Jury Longs métrages, de prendre la parole. Son jury a vu dans Petit Samedi « un film d’une pudeur incroyable, bouleversant, qui est à la fois très drôle et merveilleusement filmé ». Il précisa ensuite ceci : « C’est un prix que l’on remet à l’unanimité du jury. Et je pense que c’est une réalisatrice dont on va entendre parler très longtemps. »

Ravie, la réalisatrice andennaise répondit ceci : « Je ne m’y attendais vraiment pas. Je ne pensais pas devoir me relever. Merci beaucoup ! Je remercie encore une fois mes producteurs – Alice (Lemaire) et Sébastien (Andres) –, les coproducteurs, le WIP, Take Five, Dérives et tous nos partenaires. Je remercie encore une fois l’équipe technique. Je remercie tous les membres de ma famille, et, évidemment, Adriana, qui m’accompagne au quotidien, qui me soutient. Je pense énormément à ma mère et à mon frère. Et je pense évidemment à toutes les familles et à toutes les personnes qui vivent la même chose et qui n’ont pas de voix. J’espère très sincèrement que ce film leur permettra de se sentir écoutés. Et que notre parcours associatif permettra à ma famille, mais aussi à d’autres, de trouver une parole. Je vous remercie tous ! Je suis très touchée ! »

La réalisatrice de Petit Samedi, Bayard d’Or du 35e FIFF, entourée du jury qui l’a récompensée
Crédit photo : Nicolas Simoens


Notre interview de Paloma Sermon-Daï au Festival de Namur


En Cinémascope : Paloma, félicitations pour ces deux prix ! Le Bayard d’Or mais, aussi, le Prix Agnès. Le Bayard d’Or, c’est évidemment la récompense suprême, mais ce Prix Agnès, c’est quoi pour vous ?

Paloma Sermon-Daï : Je suis très contente, qu’on ait mis à l’honneur le rôle de ma mère. Je suis très contente d’avoir montré un cinéma un peu différent et d’avoir donné une parole, je l’espère, nouvelle, à une mère en difficulté, à une mère et à une famille en difficulté. Et, enfin, je suis très contente d’avoir ce prix dans notre région car je suis andennaise.

Comment présenteriez-vous votre film ?

C’est un film qui suit le quotidien de mon frère, qui se bat contre ses addictions, avec le parti pris de traiter de l’addiction avec le regard de la famille. Avec, au cœur, la relation mère-fils. J’ai essayé de parler d’amour.

Le jury a été unanime. Un long silence s’est installé après leur découverte de votre film. Leur discussion n’a pas été très longue quand ils ont dû choisir quel film sortait vraiment du lot : ce fût le vôtre !

Ça me fait évidemment très plaisir. Je suis très touchée. C’est un film qui fait qu’on est d’accord ou pas avec ce qui s’y dit. Mais quand on est d’accord, on est vraiment d’accord. C’est le retour qu’on a jusqu’à présent. Les gens nous disent être vraiment très touchés. Et ça nous fait plaisir !

Jean-Philippe Thiriart

Crédit vidéo : Gerardo Marra
Crédit photo : Nicolas Simoens

Le BIFFF a vécu : retour sur le palmarès et critiques de films

Le 41e BIFFF a vécu : retour sur le palmarès et critiques de films

Le 41e BIFFF a vécu : retour sur le palmarès et critiques de films 1800 1200 Jean-Philippe Thiriart

C’est hier qu’a pris fin à Brussels Expo la 41e édition du Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF). Une cuvée 2023 qui s’est clôturée avec la projection du film britannique Unwelcome, réalisé par Jon Wright, précédée de l’annonce du palmarès.
Après trois éditions particulièrement difficiles, le BIFFF a repris sa vitesse de croisière. Malgré six mois de préparation en moins et une programmation réduite d’un tiers, plus de 40 000 spectateurs se sont pressés dans les deux salles du Festival, sans compter celles et ceux qui sont passé(e)s par le village du BIFFF au cours des 13 jours qui viennent de s’écouler !

Le palmarès

Au sein de la Compétition internationale, le Corbeau d’Or, Grand Prix du Festival, a récompensé Talk to Me, des jumeaux australiens Danny et Michael Philippou. (voir critique ci-dessous)

Crédit photo : Vincent Melebeck

Les Corbeaux d’Argent sont allés au film d’ouverture, Suzume, du Japonais Makoto Shinkai et à Infinity Pool, du Canadien Brandon Cronenberg (voir critique ci-dessous).
Une Mention spéciale a été accordée à Sisu, du Finlandais Jalmari Helander.

C’est Halfway Home, du Hongrois Isti Madarasz, qui est sorti gagnant de la Compétition européenne, remportant le Méliès d’Argent.
The Grandson, du Hongrois Kristóf Deák, a été élu Meilleur thriller, quittant Bruxelles avec le Black Raven Award.
Le White Raven Award est allé à The Coffee Table, de l’Espagnol Caye Casas, avec une Mention spéciale à Lily Sullivan, l’actrice principale de Monolith, réalisé par l’Australien Matt Vesely (voir critique ci-dessous).

La Emerging Raven Competition, mettant en lice des premiers et deuxièmes longs métrages, a vu l’emporter l’américain Soft & Quiet, de Beth de Araújo, avec une Mention Spéciale décernée au canado-belge Farador, de Edouard Albernhe Tremblay.
Le Prix de la Critique a, lui aussi, été décerné à Soft & Quiet.
Le toujours très touchant Prix du Public est venu récompenser le film Sisu, dès lors doublement primé cette année.

Envie de connaître le palmarès de la compétition courts métrages belges ? Direction le site du Festival !

Les résultats de notre concours

Avant toute chose, un tout grand merci à toutes celles et ceux qui ont participé à notre concours En Cinémascope au 41e BIFFF, organisé avec le soutien précieux du Centre Culturel Coréen de Bruxelles !
Et félicitations aux gagnants de celui-ci : Lau Lari, Patrick Laseur, Vincent Mercenier, Thomas Opsomer et Marc Vanholsbeeck ! Ils ont chacun remporté deux tickets pour la projection, en avant-première mondiale, du film coréen Drive.

Rendez-vous du 9 au 21 avril 2024 pour le 42e BIFFF et avant, bien sûr, sur notre site encinemascope.be !

Enfin, n’hésitez pas à nous suivre sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram et YouTube !

Jean-Philippe Thiriart

Crédit photo : Vincent Melebeck

Les critiques de différents films primés

Talk to Me, Corbeau d’Or   ★★★
Danny et Michael Philippou (Australie)

Monolith, Blaze, Talk to Me : l’Australie était décidément bien représentée cette année au BIFFF. Ici, on est dans l’horreur pure et dure, avec des fantômes ensanglantés, de brèves visions infernales et des scènes de meurtres et d’automutilations assez impressionnantes.
Un groupe d’amis décide, pour pimenter ses soirées, de s’adonner à un petit rituel aux règles simples : il s’agit de tenir une main embaumée recouverte de céramique et de prononcer la phrase « Talk to me » pour voir apparaître un esprit devant soi, puis d’inviter celui-ci à prendre possession de son propre corps, en ne dépassant pas les 90 secondes avant d’éteindre une bougie préalablement allumée afin de renvoyer le mort d’où il vient. Évidemment, quand on joue avec le feu, on finit par se brûler…
Premier long métrage des frères jumeaux Philippou, ce Talk to Me est fort prometteur. La boîte A24 a d’ailleurs signé pour la distribution ciné aux États-Unis, c’est pour dire. Simple et efficace, se basant sur un concept aux belles potentialités, il a de quoi faire frissonner. On aurait juste bien voulu en voir plus de cet au-delà dans lequel les démons torturent l’âme d’un des personnages…

Infinity Pool, Corbeau d’Argent   ★★★
Brandon Cronenberg (Canada/Hongrie/Croatie)

Brandon n’est pas seulement le fils de David Cronenberg, c’est aussi un cinéaste talentueux. Il le prouve une nouvelle fois avec cet Infinity Pool qui a quelque chose d’obsédant.
Ce thriller horrifique, dans lequel un riche couple, James et Em, en vacances dans une station balnéaire de rêve, rencontre un autre couple, Gabi et Alban, qui va les emmener hors du périmètre sécurisé pour les touristes, et sera confronté aux lois dictatoriales du lieu suite à un accident, repose sur un concept de science-fiction : les autorités locales acceptent, contre paiement, de créer un double d’une personne condamnée à mort, afin que ce soit ce clone qui soit exécuté à la place de la personne d’origine. Ce double recevant toute la mémoire de l’autre, et le processus passant par une phase où ce dernier est inconscient, un doute surgit dès le réveil : est-on bien sûr que ce soit vraiment le double qui est exécuté ? Situation qui donne déjà le vertige, et le reste du film creusera toujours plus loin cette confusion mentale, avec la consommation de drogues hallucinatoires, des images psychédéliques, des délires sensuels et une plongée malsaine dans le crime. Avec, à l’arrivée, le risque de se perdre soi-même.
Doté d’une distribution trois étoiles (Alexander Skarsgård en James, la sublime Mia Goth en Gabi, Cleopatra Coleman en Em…), avançant de bonnes idées originales, offrant des plans passant du beau au malsain, non sans provocation (l’éjaculation, par exemple), satire d’une certaine classe sociale dite supérieure, Infinity Pool est lui-même un film assez riche, qu’on a déjà hâte de revoir.

Monolith, Mention spéciale de la White Raven Competition pour l’actrice Lily Sullivan   ★★
Matt Vesely (Australie)

Cette production australienne joue la carte du minimalisme : un seul personnage à l’écran, une jeune journaliste qui s’occupe de son émission en podcast sur des affaires mystérieuses, dans un seul lieu, la grande villa parentale où elle télétravaille, et un parti pris anti-spectaculaire, car tout repose sur l’oralité – les interviews qu’elle réalise à distance, qui font avancer l’histoire. Un film anti-cinématographique, pour ainsi dire. Fans d’action, passez votre chemin ! Cependant, il faut reconnaître qu’à partir de quelques éléments qui n’ont l’air de rien au départ (d’étranges briques noires en possession de plusieurs personnes à travers le monde), la scénariste Lucy Campbell et le réalisateur Matt Vesely parviennent à créer quelque chose d’intriguant et à maintenir le mystère sur la durée. Ce qui est une petite gageure en soi. Et, pour renforcer l’aspect dramatique, cette affaire va prendre une tournure très personnelle pour l’héroïne. Dans le rôle principal, on retrouve la jolie actrice montante Lilly Sullivan, qui joue également dans Evil Dead Rise, aussi présent dans la sélection du BIFFF 2023 (voire critique ci-dessous). Convaincante, elle porte tout le film sur ces épaules. Monolith n’est pas mémorable, mais a le mérite de tenter une certaine originalité, dans une forme certes quelque peu austère, en résonnance avec les préoccupations contemporaines et dont le fonds peut titiller les amateurs d’histoires mystérieuses.

Sandy Foulon

Les autres critiques

Vous retrouverez, ci-dessous, par ordre alphabétique, nos critiques d’autres films découverts au BIFFF cette année.

Anthropophagus II   ★
Dario Germani (Italie)

Des étudiantes se laissent convaincre par leur professeure de se faire enfermer dans un bunker antiatomique afin de vivre une expérience utile à leur thèse universitaire. Dans ces sombres couloirs totalisant une longueur de 17 km, elles vont être traquées par un tueur cannibale.
Cette pseudo-suite d’Anthropophagus de Joe D’Amato ne prend même pas la peine de tisser des liens avec son aîné, le titre ayant sûrement été choisi uniquement dans le but de capitaliser sur l’aura « culte » du film où le personnage de George Eastman mange ses propres viscères. À noter qu’à l’époque, Horrible (Rosso sangue) de la même équipe avait déjà parfois été présenté comme un Anthropophagus 2. Désespérément basique, le film de Dario Germani n’a rien à apporter. Il fait penser à de nombreux autres films du genre, comme Sawney: Flesh of Man (présenté au BIFFF il y a 10 ans). L’intrigue est simpliste au possible et le jeu des actrices est faiblard, on ne croit pas en leur personnage. Mais comme les victimes se font zigouiller à un rythme métronomique et que la durée du film est courte, on n’a pas le temps de s’ennuyer. En outre, les éclairages, dans des teintes glauques, donnent un petit cachet visuel à l’ensemble. Enfin, le vrai gros atout, c’est le gore franc et généreux qui le parsème. On réservera donc cette petite production purement « bis » aux inconditionnels du cinéma gore.

The Elderly (Viejos)   ★★★
Raúl Cerezo et Fernando González Gómez (Espagne)

Le duo de réalisateurs venu présenter au BIFFF l’année passée le bien fun The Passenger (La Pasajera) est de retour avec, cette fois-ci, un film d’horreur plus sérieux et inquiétant.
L’intro montre une vieille femme qui se suicide en se jetant du balcon, pendant que son mari dort dans le lit conjugal. Ensuite, on fait la connaissance de sa famille, son fils, sa petite-fille adolescente et la belle-mère. Il est décidé que le désormais veuf viendra habiter avec eux, au moins le temps qu’il se remette de ce drame. Mais le comportement du grand-père devient de plus en plus étrange (il dit entendre des voix) pour finir par se faire carrément menaçant (« Je vous tuerai tous demain soir »). Ambiance ! Pendant ce temps-là, une insupportable canicule sévit et les autres personnes âgées semblent aussi bizarres…
The Elderly bénéficie d’un jeu d’acteur d’excellent niveau, notamment celui de Zorion Eguilor (La Plateforme), qui a d’ailleurs été récompensé pour cette prestation au festival Fantasia. Les réalisateurs prennent le temps de bien faire monter la sauce avant le déferlement de violence attendu. Les personnages ont ainsi le temps de vraiment exister. Le tabou de la nudité et de la vie sexuelle de seniors y est abordé frontalement, ce qui peut déstabiliser. Ce bon film d’horreur pèche juste par son explication finale, qui laisse dubitatif.

Evil Dead Rise   ★★★
Lee Cronin (Nouvelle-Zélande/États-Unis/Irlande)

Lee Cronin, le réalisateur de The Hole in the Ground, qui avait été projeté au BIFFF en 2019, s’attaque à la franchise Evil Dead. Il s’agit d’une histoire indépendante de la trilogie initiale et même du remake de 2013 ; autrement dit, on peut le regarder sans forcément avoir vu les autres. Comme pour le film de Fede Alvarez, exit Ash et les autres têtes connues de la saga. Sam Raimi et Bruce Campbell n’interviennent qu’au niveau de la production (ils sont producteurs exécutifs). Passée l’intro, le cadre de l’action est cette fois-ci urbain (un appartement dans une grande ville américaine), ce qui fait l’originalité et contribue à créer l’identité propre de cet opus. Au centre de l’intrigue, c’est une famille (une mère et ses trois enfants, rejoints par leur tante rock’n’roll) qui se retrouve cette fois-ci confrontée aux forces démoniaques involontairement libérées par l’un d’entre eux. Sans surprise, cet Evil Dead Rise ne possède pas du tout le charme des anciens films et reprend plutôt l’esthétique des films de possessions contemporains. Mais il tient largement ses promesses en termes de gore (mention spéciale à la créature composite à la The Thing et la façon dont elle est neutralisée). Cronin s’en tire bien en montrant qu’il sait réaliser un bon film d’horreur moderne. Reste donc le problème pour les fans de la première heure de ne pas retrouver ce qui faisait la « saveur » toute particulière des premiers Evil Dead.

Evil Eye (Mal de Ojo)   ★★★
Isaac Ezban (Mexique)

Grand habitué du BIFFF (tous ses longs métrages y ont été projetés), le réalisateur Isaac Ezban est de retour avec Evil Eye, film d’horreur ayant pour thème la sorcellerie dans le Mexique rural.
Ne sachant plus à quel saint se vouer pour essayer de sauver leur jeune fille Luna, dont l’état de santé laisse les médecins perplexes, Rebecca et Guillermo emmènent la petite, ainsi que sa grande sœur Nala, chez la grand-mère maternelle, avec qui le contact avait été rompu, dans l’espoir de trouver une solution beaucoup moins conventionnelle. Les parents annoncent alors qu’ils doivent s’absenter quelques jours et laissent leurs deux filles chez la vieille dame. Ça, ce n’était peut-être pas l’idée du siècle…
Actualisation des contes traditionnels de sorcières, ce film décline bien la palette de la peur, allant de la sourde angoisse à la pure terreur. Les maquillages et effets spéciaux font plaisir à voir et les décors de la vieille demeure ajoutent leur grain de sel à l’ambiance creepy. Après le doublé The Elderly et Evil Eye, vous ne verrez plus jamais vos grands-parents de la même manière !

L’Exorciste du Vatican (The Pope’s Exorcist)   ★★
Julius Avery (États-Unis)

Basant son argument commercial sur le fait qu’il s’inspire de fait réels (comme Conjuring : Les Dossiers Warren et bien d’autres avant lui), L’Exorciste du Vatican raconte la lutte entre le père Gabriele Amorth, exorciste en chef du Vatican, et un puissant démon ayant pris possession du corps d’un petit garçon dont la famille vient d’emménager dans un ancien édifice sacré espagnol dans le but de le restaurer.
L’attraction principale du film est l’acteur-star Russell Crowe dans le rôle du père Gabriele. Avec son physique qui évoque plus un vieux métalleux qu’un prêtre et ses quelques petites faiblesses (il trimballe toujours sur lui une flasque de whisky et est tourmenté par un épisode traumatique de sa jeunesse), il s’attire davantage la sympathie du public que la petite clique de prélats qui tentent de l’évincer de sa fonction. D’autres noms au générique attirent l’attention : Franco Nero (Django) dans le rôle du souverain pontife, Alex Essaoe (Doctor Sleep) ou encore Daniel Zovatto (Don’t Breathe). On peut compter sur Hollywood pour rendre plus divertissante une réalité qui doit être autrement plus austère, à grand renfort d’effets spéciaux et de petites touches d’humour. Le film est joliment éclairé, relativement bien rythmé et propose quelques pistes intéressantes (cf. ce qui est dit de l’Inquisition espagnole), mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas dans la subtilité, ce qui l’empêche de faire peur. Et ça, c’est fort dommage pour un film de possession démoniaque !

In My Mother’s Skin   
Kenneth Dagatan (Philippines/Singapour/Taïwan)

Ce film asiatique, se déroulant aux Philippines sous l’occupation japonaise vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, met en scène une famille vivant dans une grande demeure sise au milieu de la jungle. Le père aurait volé de l’or des envahisseurs et ces derniers mettent la pression pour récupérer le trésor. Laissant sa femme, sa fille, son garçon et sa domestique, l’homme va tenter de trouver de l’aide du côté des Américains. Voyant la santé de sa maman péricliter, la fille, Tala, veut prendre les choses en main. Quand elle croise le chemin d’une fée prétendant pouvoir exaucer ses vœux, elle va tenter le tout pour le tout.
In My Mother’s Skin possède les ingrédients pour faire un bon film dans la veine de ce que fait Guillermo Del Toro (notamment dans Le Labyrinthe de Pan), mais Dagatan n’a malheureusement pas le savoir-faire du réalisateur mexicain. Le rythme est trop lent et ça tourne en rond au bout d’un moment. Un conte horrifique au potentiel pas suffisamment bien exploité.

Irati   ★★★★
Paul Urkijo Alijo (Espagne/France)

Adapté de la BD Le Cycle d’Irati de Juan Luis Landa (dont seul le premier tome est sorti, malheureusement, le projet ayant été abandonné en cours de route par l’éditeur), agrémenté de divers ajouts personnels, ce film de fantasy prend place dans le Pays basque du 8e siècle, où les deux grandes religions monothéistes, le christianisme et le mahométisme, mettent en péril les anciennes croyances païennes. Après la bataille de Roncevaux, pour laquelle le père du héros avait signé un pacte avec Mari, la déesse de la Nature, qui stipulait qu’il donnait sa vie contre la victoire des siens, Eneko Jr. est envoyé loin de chez lui pour être élevé dans la foi de Rome. Adulte, il revient dans son pays pour découvrir que certains revendiquent sa place de seigneur local. Il va également découvrir le monde de la déesse-mère et se liera avec Irati, jeune sauvageonne qui représente les croyances ancestrales menacées de disparition.
On sent l’amour du réalisateur basque pour sa région et son folklore et son désir de le partager avec ses spectateurs. Il allie avec bonheur l’intime et le grand spectacle, son film étant à la fois très touchant et impressionnant. Visuellement travaillé, il offre de superbes plans de la Nature : forêt, rivière, montagnes… Et puis, fantasy oblige, certaines créatures de la mythologie locale prennent vie devant la caméra. Une réussite d’autant plus méritoire quand on sait que le budget dont il disposait était modeste par rapport à ce qui se fait dans le genre, notamment à Hollywood. Un vrai coup de cœur de votre serviteur.

Kids vs. Aliens   ★★
Jason Eisener (États-Unis)

Tout comme Hobo with a Shotgun (2011) du même réalisateur était l’adaptation en long métrage du court du même nom, Kids vs. Aliens est la version longue de Slumber Party Alien Abduction, présent dans l’anthologie horrifique V/H/S/2. Hommage aux productions fantastiques pour la jeunesse des années 80, et donc forcément comparé à la série Stranger Things, devenue la référence sur ce terrain, cette nouvelle réalisation du Canadien Jason Eisener titille allègrement notre fibre nostalgique tout en proposant quelques fulgurances gores. Dans ce mélange de science-fiction et d’horreur, une petite bande d’enfants, accompagnée de Samantha, la grande sœur de l’un d’eux, est confrontée à deux groupes d’antagonistes : d’une part, l’ado Billy et sa clique, un salaud de première qui essaie de sortir avec Sam pour profiter d’elle et, d’autre part, de vilains extraterrestres ne pensant qu’à zigouiller de l’humain. Eisener fait très bien passer son amour pour le cinéma en mode DIY et son affection pour les geeks en herbe qui vivent dans leur monde et sont pleins de créativité. Esthétiquement, le film se distingue par ses couleurs très saturées, un certain kitsch pleinement assumé, avec des costumes, des maquillages et des effets spéciaux bricolés grâce à des moyens très limités mais avec passion. La durée est fort courte (1h15) et la fin est un peu frustrante : on aimerait en savoir plus (à voir si le réalisateur a déjà l’idée d’une suite possible…). Un petit divertissement sympathique.

The Loneliest Boy in the World   ★★
Martin Owen (Royaume-Uni)

Un ado asocial, involontairement responsable de la mort accidentelle de sa mère, se retrouvant sans famille et sans ami, est libéré pour quelque temps de l’institut spécialisé dans lequel il était placé. Il doit s’accommoder des visites impromptues que lui rendent les deux psys qui le suivent, un homme bien décidé à prouver que ce jeune est barje et qu’il se passe des choses étranges chez lui et une femme plus compréhensive. Ils lui font clairement comprendre que s’il ne se fait pas rapidement un ami, histoire de prouver qu’il sait se sociabiliser un minimum, il sera réinterné vite fait. Ni d’une, ni deux, le jeune homme va déterrer un gars populaire de son âge qui vient d’être inhumé afin de s’en faire un ami. Puis, tant qu’à faire, il décide aussi de s’entourer d’une nouvelle famille par les mêmes moyens, un récent crash d’avion lui fournissant tout ce qu’il lui faut en cadavres frais. Le pire, c’est que ça va fonctionner au-delà de tous ses espoirs !
Bénéficiant d’une belle photo, de beaux éclairages et d’une interprétation adéquate, ce film fait mouche avec son ton oscillant entre humour et tendresse. Hommage aux années 80, comme il s’en fait régulièrement depuis quelques années, pourvu de nombreux clins d’œil (utilisation de la musique de Ghostbusters, oreille coupée retrouvée à la façon de Blue Velvet, feuilleton Alf regardé à la télé par le personnage principal…) et d’une esthétique camp, The Loneliest Boy in the Wood ne surprend pas, mais fait passer un agréable moment.

The Nature Man   ★
Young-seok Noh (Corée du Sud)

The Nature Man se pose dans la catégorie « on s’est fait avoir » ! Un youtubeur spécialisé dans les histoires paranormales, accompagné de son acolyte, se rend en pleine forêt pour rencontrer un homme qui vit là-bas et qui prétend être harcelé, voire parfois possédé, par des fantômes hantant les lieux. Ce qu’ils découvriront sur place ne correspondra pas forcément à leurs attentes… Vu le pitch et la bande-annonce, on pouvait s’attendre à un survival fantastique, mais il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’une espèce de comédie pleine de faux-semblants, par laquelle seuls les jeunes créateurs de contenus sur les réseaux sociaux pourraient éventuellement se sentir vaguement concernés. Un film-arnaque dont le message semble être, au final, que derrière les arnaques, il y a tout de même des leçons à tirer. En tout cas, on peut s’interroger sur la pertinence de le faire figurer dans la sélection du BIFFF. Bref, vous pouvez circuler sans regret, il n’y a (pratiquement) rien à voir.

Nightmare (Marerittet)   ★★
Kjersti Helen Rasmussen (Norvège)

Un jeune couple emménage dans le spacieux mais vétuste appartement qu’il vient d’acquérir. Le jeune homme étant constamment accaparé par son travail, c’est la fille, Mona, qui reste à domicile pour entreprendre les travaux de rafraîchissement de leur intérieur. Entre le comportement bizarre de leurs voisins et les cris incessants du bébé de ceux-ci, un gros problème va surgir : les nuits de Mona vont être fortement perturbées par des cauchemars lucides récurrents au cours desquels un démon du sommeil (un Mare) revêtant l’apparence de son compagnon va devenir de plus en plus menaçant à son encontre et va tenter de prendre possession du fœtus qu’elle porte en elle.
Baignant presque constamment dans la pénombre, Nightmare cultive la confusion entre rêve et réalité. À la croisée des concepts des Griffes de la nuit et de Rosemary’s Baby, il ne possède pas l’impact de ces deux références. Le thème des cauchemars et des divers troubles du sommeil (paralysie du sommeil, somnambulisme…), est passionnant et, de ce fait, le pitch de ce film ne manquera pas d’interpeler les fantasticophiles, mais cette production norvégienne n’est donc pas LE film définitif sur le sujet. Il met un peu trop de temps avant d’en arriver à la partie la plus intéressante, est trop cafardeux visuellement (même si c’est volontaire) et les scènes oniriques ne vont pas assez loin et manquent de variété. Un bon point cependant pour la prestation de l’actrice principale, Eili Harboe, qui s’était notamment déjà illustrée dans Thelma.

Project Wolf Hunting   ★★★
Hongsun Kim (Corée du Sud)

Sur un cargo en pleine mer, une troupe de policiers est confrontée à une mutinerie des dangereux criminels qu’ils escortaient. Mais bientôt, un danger encore plus terrible surgit des entrailles du bateau…
Project Wolf Hunting est l’une des sensations gores de ces derniers mois avec The Sadness et Terrifier 2. Petite salve de films qui donne une lueur d’espoir aux fans de splatters quant à l’avenir de leur genre de prédilection dans les salles de cinéma (les trois films ayant bénéficié d’une sortie salles dans plusieurs pays, dont la France, ce qui est devenu en soi exceptionnel) dans un contexte de cinéma horrifique un peu trop souvent aseptisé.
Si le scénario est basique, c’est pour mieux jouer la carte de l’efficacité et de la surenchère dans la violence qui fait mal et dans la quantité de sang versée. On ne va pas se mentir, on est là pour ça, et le film remplit parfaitement son contrat. Malgré sa durée de deux bonnes heures, on ne s’embête pas et l’effet cathartique est assuré.

Satanic Hispanics   ★★
Alejandro Brugués, Mike Mendez, Demián Rugna, Gigi Saul Guerrero et Eduardo Sánchez (États-Unis/Mexique/Argentine)

Satanic Hispanics est une anthologie horrifique réunissant une belle brochette de réalisateurs latino-américains : respectivement, les réalisateurs de Juan of the Dead, du Couvent, de Terrified (un film de trouille diablement efficace), de Bingo Hell et du Projet Blair Witch. Cela génère forcément pas mal d’attentes.
Le premier segment, qui sert de fil rouge pour introduire les autres histoires, montre un raid de la police déboucher sur la découverte de vingt-sept cadavres dans un appartement, massacre dont le seul survivant tente de s’échapper. Amené au poste de police pour être interrogé, celui-ci va raconter diverses histoires, à première vue abracadabrantes, à propos de revenants, de vampires, etc., qui constitueront les autres sketches.
Cet ensemble contient de bons éléments (quelques créatures joliment horribles, des gags avec le vampire qui fonctionnent bien…) mais, globalement, il déçoit un peu, la faute, autre autres, à un ton trop souvent humoristique. Dans le genre, on lui préférera México Bárbaro, plus viscéral.

Wintertide   ★★
John Barnard (Canada)

Alors qu’il règne désormais une nuit hivernale sans fin, le soleil n’atteignant plus la Terre, Beth patrouille bénévolement dans sa petite ville isolée, signalant la présence de chaque « zombie » qu’elle croise sur sa route. Quand elle ne sillonne pas dans son secteur, elle occupe ses nuits en faisant l’amour avec le ou la partenaire du jour. Le problème, c’est que lorsqu’elle dort, elle fait un cauchemar récurrent où elle voit son double aspirer l’énergie vitale de la personne couchée à côté d’elle. Et au réveil, à chaque fois, cette personne n’est pas du tout dans son assiette…
Le thème des zombies/infectés est ici traité de sorte qu’on n’ait pas l’impression d’avoir déjà vu mille fois ce spectacle, ce qui est très louable. John Barnard soigne son atmosphère nocturne, glaciale et cotonneuse. Par ailleurs, il nous offre quelques scènes sensuelles joliment filmées. De plus, son actrice principale, Niamh Carolan, assure. Vu ses atouts, il est d’autant plus dommage que Wintertide ne convainque pas à cent pour cent, son rythme lent finissant par devenir handicapant, le manque de scènes « énervées » se faisant ressentir. Verdict : intéressant, mais peut mieux faire.

Sandy Foulon

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☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

Crédit photo : Vincent Melebeck

SPIT’N’SPLIT a 5 ans : critiques du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview du réalisateur

SPIT’N’SPLIT a 5 ans : critiques du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview du réalisateur 1124 749 Jean-Philippe Thiriart

Si Jérôme Vandewattyne est réalisateur, c’est aussi le leader de VHS From Space, groupe de rock grunge psychédélique dont le nouvel album, Cigarette Burns, est sorti le 31 octobre dernier.

Cette année, Jérôme a bouclé le tournage de son nouveau bébé : The Belgian Wave. Le montage image est désormais terminé, pour une sortie du film prévue en 2023. À présent, ce sont au sound design, aux effets spéciaux et à l’étalonnage que s’attellent Jérôme et ses camarades.

Petit scoop : c’est Daniel Bruylandt, qui bosse entre autres régulièrement avec le duo Hélène Cattet – Bruno Forzani, qui travaillera sur le son de The Belgian Wave en postproduction.

Nous vous proposons aujourd’hui un retour sur Spit’n’Split, qui fête ses cinq ans. Au menu : critique du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview du réalisateur au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF), où le film avait fait salle comble.

Le film

Spit’n’Split   ★★★

Réalisé par Jérôme Vandewattyne
Avec Jérémy Alonzi, Alan Steffler, Jean-Jacques Thomsin, David D’inverno, Bouli Lanners, Rémy S. Legrand

Documenteur musical
1h26

Lauréat notamment du Prix du Meilleur Docu musical au Festival slovène de Grossmann, à mi-chemin entre documentaire et fiction, Spit’n’Split, qui sent bon la sueur et le rock’n’roll, a été pour nous un véritable coup de cœur ! Il s’agit du premier long métrage de Jérôme Vandewattyne, qu’on avait découvert au BIFFF en 2011 avec son faux trailer She’s a Slut!, et retrouvé un an plus tard dans le cadre des courts-métrages du Collectifff avec Slutterball.

Spit’n’Split se veut être une expérience. Jérôme est parti sur les bases d’un documentaire sur le groupe rock The Experimental Tropic Blues Band. On suit celui-ci en tournée, en répétition, bref, dans les différentes aventures que les membres sont amenés à vivre aux quatre coins de l’Europe avant de sombrer dans une folle fiction. Une aventure humaine qui dérive. Des gars qui jouent ensemble, s’aiment, s’énervent mutuellement, déconnent, s’amusent, affrontent la fatigue et les aléas de la vie de musiciens sur la route jusqu’à s’insupporter… Un ensemble d’éléments et d’expériences qui participent à l’authenticité d’un groupe de rock qui voue sa vie à sa passion. Une authenticité d’ailleurs parfaitement rendue dans le film puisque celui-ci est réalisé de prime abord comme un documentaire brut, spontané, naturel.

Le grain roots sale du film (à l’image de la musique du groupe d’ailleurs) choisi par le réalisateur permet un rendu pour le moins fidèle aux malaises vécus par les personnages à de nombreux moments du métrage. Émouvant et attachant, Spit’n’Split est une ode à la vie de groupe et à l’amitié, mais montre aussi le revers de la médaille et les galères que tout groupe de musique un tantinet sérieux a déjà sans doute vécu dans sa carrière. Ce docu-fiction va loin, dérange, pue parfois et emmène le spectateur dans une expérience dont il ne ressortira pas totalement indemne. Un film qui regorge d’idées et représente une bien belle claque à destination de tous les amoureux de musique et de cinéma.

Guillaume Triplet

Le combo Blu-ray – DVD

★★★

Le combo Blu-ray – DVD est disponible chez Zeno Pictures. Le Blu-ray reprend le film avec, à disposition, sous-titres français, anglais, espagnol et néerlandais.
Y figure aussi le métrage dans sa version commentée par le réalisateur et les quatre membres du groupe The Experimental Tropic Blues Band.

Parmi les bonus du Blu-ray (pas moins de 1h40 quand même !), quatre volets : Teasers, Clips vidéos, Scènes coupées et Vidéos additionnelles.
Les teasers reprennent une série de visuels conçus pour les médias sociaux, des gift’n’gifts – mise en avant déjantée du LP du groupe sorti dans le cadre de la réalisation du film – et le détournement de la préface de l’édition 2018 des Magritte du Cinéma faite par ce cher Hugues Dayez au journal télévisé de la RTBF.
Les clips vidéo en comptent trois : l’immanquable Baby Bamboo, Roots & Roses et Weird, en version karaoké.
Les scènes coupées sont nombreuses et permettront aux fans du film et de son ambiance atypique de s’en mettre encore plus devant la rétine : 24 en tout.
Les deux vidéos additionnelles, elles, comprennent un enregistrement en studio et le court Alein. Ce dernier met principalement en scène un des membres du groupe – Alan Steffler, qui d’autre ? – et est présentée comme « une série télévisée présentée par des groins de porcs ». Tout un programme !
La vidéo Studio nous invite, quant à elle, à passer une bonne dizaine de minutes avec le groupe au cœur du film, pendant lesquelles on les voit effectuer différents essais avec la décontraction qu’on leur connaît.

Le DVD comprend lui-aussi le film, à nouveau sous-titrable dans les quatre langues mentionnées ci-dessus et les commentaires audios posés sur le film.
Rayon bonus : Alein et Studio.

Jean-Philippe Thiriart

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L’interview

En Cinémascope : Comment présenterais-tu Spit’n’Split et comment le vendrais-tu ?

Jérôme Vandewattyne : Comme une expérience, avant tout. Comme un film viscéral qui démarre de manière tout à fait classique et qui, petit à petit, bascule littéralement dans la psyché des personnages. Le seul mot d’ordre est le lâcher-prise. Il faut se laisser emmener par le film, qui regorge de faux-semblants. Ce voyage rock’n’roll embarque le spectateur dans des recoins sombres, underground, mais pour aborder des thèmes beaucoup plus universels.

Ton film met en scène le groupe liégeois The Experimental Tropic Blues Band. Pourquoi avoir porté ton choix sur ce groupe-là ?

À la base, je suis fan du groupe. Je les avais découverts à Dour et je trouvais incroyable l’énergie qu’ils transmettaient sur scène. J’avais l’impression de me reconnaître dans ce que je voyais. Je crois d’ailleurs que c’est la force du groupe : fédérer les gens. À la fin du concert, je m’étais promis que je travaillerais un jour avec eux, que je réaliserais un clip pour eux. Mais ça a été plus loin que ça. Grâce à Julien Henry de La Film Fabrique (NdA : D’habitude, Julien réalise leurs clips), j’ai pu travailler sur le show de leur quatrième album, The Belgians, où il avait besoin de monteurs. On a fait beaucoup de Vjing, ce qui consiste à diffuser des vidéos en live pendant que le groupe joue. On a vraiment eu une belle complicité. Ça m’a permis de travailler avec La Film Fabrique et de rencontrer Mathieu Giraud – le monteur du film avec Ayrton Heymans -, qui est arrivé un peu plus tard et dont je reparlerai.

À la suite de ça, j’avais juste envie de prolonger l’expérience, même si celle des Belgians avait déjà duré un an. Il y avait vraiment un esprit de famille qui s’était créé entre la production et les artistes. Du coup, Jérémy Alonzi / Dirty Coq, le guitariste des Tropics, m’a proposé de monter dans le van avec eux. Il m’a dit de prendre ma caméra, de les filmer, de m’amuser, de faire ce que je voulais car il avait vraiment foi en notre vision commune de la liberté artistique. J’avais carte blanche. À l’époque de The Belgians, je leur avais demandé si je pouvais utiliser certains de leurs morceaux pour un prochain film. Mais ils m’ont dit que ce serait compliqué car j’allais devoir payer cher la SABAM au niveau des droits d’auteur. Par contre, ils pourraient composer la musique de mon prochain film. On a donc vraiment eu de grosses discussions musicales et cinématographiques et je me suis dit que si Tropic composait la musique d’un de mes films, je n’avais pas envie que ce soit pour un projet court.

Trois membres du quatuor liégeois The Experimental Tropic Blues Band.

Je rêvais d’un film d’une plus grande ampleur. J’ai donc proposé de faire un long métrage, ce qui les a plutôt fait marrer au début car je n’avais qu’une petite caméra et aucun budget. C’est vrai que je n’avais qu’un petit Canon mais je me suis dit qu’entre ce qu’ils avaient à raconter, le feeling qu’on avait et la synergie qui s’était créée, on avait la possibilité de faire quelque chose de plus fort que simplement se concentrer sur la technique. C’est d’ailleurs aussi comme ça que le groupe compose sa musique. Les membres n’ont pas forcément la toute dernière gratte qui vaut une fortune, mais ils ont cette énergie qui, en live, provoque une sensation de transe. Je voulais vraiment qu’on essaie de capter ça et c’est dans cette même énergie qu’on est parti en tournée et qu’on a commencé à filmer. On a fait une jam.

J’ai pris beaucoup de notes, j’avais une grosse bible avec plein d’idées qu’on essayait et qui fonctionnaient plus ou moins en fonction de ce que nous vivions. Et, naturellement, le film s’est redirigé de lui-même. On avait toujours voulu procéder à ce basculement du documentaire vers la fiction et surprendre les gens, les chambouler. À la base, on voulait partir dans un délire d’horreur à la japonaise mais finalement, on s’est rendu compte que ce qui nous touchait vraiment, c’était justement l’horreur humaine, l’horreur sociale. On a donc laissé tomber toutes les idées gores et on s’est focalisé sur le malaise, sur les mécanismes de l’amitié et ses dérapages. C’est de là qu’est parti Spit’n’Split. Le groupe voulait composer la musique et moi je voulais réaliser un film sur eux, en extrapolant ce qu’ils étaient. On est dans un récit mythomane : il se nourrit du réel pour construire son mensonge.

C’est vrai que Spit’n’Split démarre comme le documentaire d’un réalisateur qui prendrait simplement sa caméra pour filmer un groupe en tournée sur toutes leurs dates et, ensuite, le film part complètement en vrille avec des éléments beaucoup plus fictionnels. Il y a aussi un genre de mélange avec les bandes de notre jeunesse que sont des documentaires comme Strip-Tease ou même des films comme C’est arrivé près de chez vous. Tu avais une volonté d’un mélange des styles entre le documentaire et le film social ?

J’ai l’impression que ça fait partie de nous. Je ne voulais pas faire un film belge pour dire d’en faire un. Dans beaucoup de productions actuelles, on pousse à l’extrême cette « belgitude », ce qui ne me parle pas du tout. Ça me fout même le frisson de la honte, tellement c’est maladroit et à côté de la plaque. Pourtant, en effet, la Belgique suinte dans les œuvres pionnières que tu as citées et pour lesquelles j’ai énormément de respect. Tout comme Calvaire ou Ex Drummer, qui tapent dans le mille et te fracassent le crâne. Je pense que c’est propre à notre culture. Ça ne sert à rien de forcer le trait pour jouer les rigolards : ça se sent à des kilomètres. Il y a cette espèce d’autodérision, une sorte de cocktail entre sarcasme, légèreté, drame et déprime. Et vu qu’on a peu de moyens, ça donne cette esthétique un peu cradasse.

En même temps, je suis certain que si on avait plus de pognon, on mettrait tout dans la reconstitution d’un bar miteux et de verres de Jupiler. En fait, c’est un cercle vicieux dans lequel on se complaît et que je trouve attachant. Pour revenir au film, j’ai essayé de digérer au maximum les références que j’avais, les films et émissions qui m’ont bercé quand j’étais gosse. Je regardais les Strip-Tease avec mes parents mais ça me foutait les boules. Rien que la musique… ça te fout le cafard. Je ne comprenais pas ce que je voyais mais c’était proche de moi. Il y avait ce côté doux-amer qui me plaisait et qui était fascinant, repoussant et magnétique. C’est nous. Tout ce qui est sorti de Spit’n’Split l’a été de lui-même parce que les personnages existent vraiment et s’amusent à brouiller les pistes.

Poupée de cire, poupée de (gros) son

Tu parlais de l’esthétique un peu crade de ton film avec une certaine authenticité. C’est quelque chose qu’on pouvait déjà retrouver dans ton faux trailer She’s A Slut en 2011 ou encore dans Slutterball, ton court-métrage de 2012. Est-ce qu’en termes d’esthétique, de photo ou de réalisation, il y a des réalisateurs qui t’influencent particulièrement ?

Oui. Bien avant She’s A Slut et Slutterball, je vouais un culte aux réalisateurs des « Midnight Movies », ces films inclassables des années 70. Ils ont cette esthétique poisseuse parce qu’ils n’ont pas été faits avec beaucoup d’argent, et dans une totale liberté. C’est une époque que je n’ai pas connue puisque c’était l’âge de la pellicule. Que je le veuille ou non, je suis un enfant du numérique mais l’image numérique ne me parle pas en tant que telle, même si j’y trouve beaucoup d’avantages lors d’un tournage et que c’est de cette manière que j’ai réalisé mes premiers petits films et que je me suis formé. Je suis beaucoup plus sensible à l’esthétique « sale ». Des films comme Massacre à la Tronçonneuse, Tetsuo ou Mad Max m’ont impressionné par leur grain, qui contribue à te remuer les tripes et influencer ton ressenti.

C’est ça que j’essaie de retrouver parce que pour moi, un film est avant tout un plaisir pour les sens et une sorte d’agression. J’ai besoin de ressentir la même émotion qu’en regardant une vieille photo, un peu de nostalgie d’une époque que je n’ai pas vécue mais qui pourtant m’embrase complètement. Je cherche à donner une odeur à l’image. Ça ne m’intéresse pas de faire un film aseptisé. Quand tu vois toutes ces « comédies », principalement françaises, où tu as une affiche avec la tronche de Clavier sur un fond blanc et le titre en rouge, ça ne me fait pas vibrer du tout. J’ai envie d’un truc avec une personnalité. J’ai besoin d’être emmené dans un cadre, dans une lumière, dans des couleurs, dans un univers où la personnalité du réalisateur transpire à chaque plan, à chaque coupe comme si sa vie en dépendait. C’est ce qui me plait dans le cinéma de Takashi Miike, par exemple.

Ouvrez l’œil, et le bon !

Tu veux un cinéma qui dépasse l’image et le son ? Un cinéma plus sensoriel ?

Voilà, tu as mis le mot. Même si « sensoriel », ça veut tout et rien dire en même temps. Un cinéma plus viscéral, organique. Si tu changes un élément de la matière, ça chamboule tout. Je ne cherche pas la complaisance. Je ne cherche pas l’originalité à tout prix parce qu’il y a beaucoup de choses qui ont déjà été faites, au même titre que beaucoup de choses doivent encore être explorées. En fait, c’est ça : je me vois plus comme un explorateur qui cherche à se surpasser plutôt qu’à se comparer. Chacun son chemin, comme on dit.

Pour reprendre sur l’esthétique un peu poisseuse, quelque chose m’a marqué bien avant d’avoir vu le film, c’est son affiche. Peux-tu nous parler de sa conception ?

J’avais cette image de gens nus dans la forêt en tête depuis un moment. Des sortes de clones avec des masques en latex qui rappelleraient les visages des Tropics. Et comme on parlait des influences auparavant, quelqu’un comme Jodorowsky m’a énormément influencé avec La Montagne Sacrée ou encore Santa Sangre. Ces images surréalistes m’ont marqué la rétine. Je voulais une affiche intrigante, avec une personnalité propre. L’image de l’affiche de Spit’n’Split est prise d’une séquence du film : j’ai fait une fixation sur le plan en question. J’ai ensuite travaillé avec Valérie Enderlé avec qui on a fait énormément de patchworks, ce qui me plaisait beaucoup. Et par la suite, j’ai discuté avec le graphiste des Tropics, Pascal Braconnier (Sauvage Sauvage). Il parlait d’aller vers quelque chose de plus épuré car il trouvait la photo déjà très forte comme ça. Il a commencé alors à travailler sur un format plus seventies, inspiré par des affiches comme celle de Taxi Driver. Et mélanger le moderne et l’ancien pour tomber dans quelque chose d’intemporel me fascine. Je me disais que si je voyais ce genre d’affiche dans la rue, avec des gens à poil dans la forêt munis de masques, j’aurais sans doute envie de le voir.
(NDLR : L’ambiance finale de Spit’n’Split est donnée par un plan qui semble avoir plus que fortement inspiré une séquence du film flamand De Patrick, sorti en 2019, soit deux ans après le film de Jérôme. Jugez, par vous-même, avec les visuels ci-dessous…)


Ça attise plus de curiosité encore…

Oui. Peut-être une curiosité morbide, voyeuriste ou juste intrigante. C’était facile mais ça nous a bien servis.

À la vue du film, une des choses qui marque aussi, c’est son montage. C’est parfois à la limite hallucinogène, ça part dans tous les sens et, surtout, il y a une quantité impressionnante de plans. Combien de temps as-tu mis pour faire ce film ?

Ça a pris trois ans entre le moment où le projet est né et la projection du film au BIFFF. En ce qui concerne le montage, je voulais en quelque sorte « droguer » le spectateur. Je voulais qu’il soit emmené dans un monde, le bousculer dans sa tête et le faire passer par des émotions très différentes. Le montage a donc énormément joué là-dessus, et je dois beaucoup aux monteurs, Mathieu Giraud et Ayrton Heymans. Au début du projet, j’ai commencé à monter le film tout seul mais j’étais toujours interrompu car je devais repartir en tournée avec les Tropics. À un moment, je n’avais même plus le temps de dérusher ce que je tournais. Julien Henry m’a alors suggéré de m’entourer d’un deuxième monteur. Sinon, le film aurait pris dix ans à se faire. On avait une très grande quantité de rushes. Je tourne énormément, surtout quand je suis au cœur d’un sujet qui me passionne autant. Conseil plus qu’avisé donc ; merci Juliano !

J’ai alors pris Mathieu, qui montait déjà des clips et des documentaires pour le groupe. Ce qui permettait d’aller droit à l’essentiel car il connaissait très bien la personnalité des musiciens. C’était là pour moi tout l’intérêt : qu’est-ce que Mathieu n’avait pas encore vu de Tropic ? J’avais envie de montrer un autre point de vue sur le groupe que ce qu’on avait déjà pu voir auparavant. Garbage Man et La Bite Électrique, c’est super mais on connaît. Tropic peut raconter d’autres choses : ce sont des artistes entiers aux talents d’acteurs cachés et plus encore. Après ça, un troisième monteur est venu se greffer à l’équipe, Ayrton, qui lui a plus travaillé sur tout ce qui était « fictionnel/surréaliste » (la scène de Rémy l’Homme aux Seins, celle avec les ados, l’opération du nez…). Il portait aussi un regard avisé sur ce que nous expérimentions avec Mathieu. Afin d’être structuré, Mathieu m’a proposé de synthétiser mes journées de tournage, ce qui était un boulot fastidieux mais nécessaire. On visionnait ensemble, je le bombardais d’infos puis il remontait de son côté et me proposait quelque chose. Il a vraiment un regard et un esprit de synthèse ; je lui fais une confiance aveugle. Au bout du compte, on s’est retrouvé avec un film de quatre heures, qu’on a recassé, reconstruit pour pénétrer la matière au plus loin. Le montage a vraiment été un jeu de ping-pong entre nous trois. C’est ce qui apporte la richesse du montage.

On parlait du côté vraiment à cheval entre documentaire et fiction de ton film. N’as-tu pas peur de certaines réactions de spectateurs par rapport à des scènes qui pourraient être interprétées comme étant choquantes et où, justement, le spectateur aurait du mal à se positionner entre réalité et fiction ?

(Temps de réflexion) Si, parce que c’est du rejet, mais c’est un risque que je veux prendre parce que j’ai vraiment foi en ce que nous racontons. En même temps, tu sais, je ne cherche pas le choc pour le choc. Je veux bousculer mais pas dégoûter pour dire de faire le film le plus dégueulasse. Je voulais que les scènes servent le propos. Et je pense que les scènes qui paraissent choquantes, comme l’opération chirurgicale, ont crédibilisé mon propos et brouillé les pistes. Ça permet aux gens de se questionner sur la distance par rapport aux images, avec une pointe d’impertinence. Est-ce qu’on me raconte vraiment la vérité ? Quelle est ma vérité ? Est-ce que ça a vraiment été aussi loin ? Comment le groupe peut-il se laisser filmer dans de telles situations ?

Et quand tu commences à te poser la question de la distance, ça permet de te demander si tu dois prendre pour argent comptant ce qui se passe devant toi. C’est pour ça aussi que je voulais aller de plus en plus loin dans le grotesque jusqu’à arriver sur Bouli Lanners, qui pointe une arme, pour se dire que là ok, on est complètement dans la fiction. Et à partir de là, que les gens se demandent « depuis quand se fout-il de notre gueule ? ». Puis, comme un tour de foire, les emmener encore plus loin et les balancer dans un film expérimental, au-delà de la fiction. C’est un trip. Si tu résistes, ça risque d’être pénible. Ce qui m’intéressait, c’était justement de jouer avec cette frontière floue, de bousculer le spectateur et titiller ses limites, que lui seul connaît.

Tu veux faire réfléchir le spectateur avec Spit’n’Split ?

Oui, d’une certaine manière, s’il peut réfléchir, ça me plaît. Le public qui accède à ce film, dans ce circuit je veux dire, n’est pas idiot et aime se poser des questions sur ce qu’il voit. Maintenant ce n’est pas un film intellectuel non plus. Je veux avant tout que ça reste un divertissement mais s’il peut y avoir une réflexion derrière, qui mène à un débat sur la distanciation de l’image dans les médias, ou même à une réflexion plus mystique, pourquoi pas. Ce qui m’intéresse, c’est de discuter avec les gens sur leur ressenti par rapport au film. Je n’ai juste pas envie qu’ils soient neutres en sortant de la salle. Là, ce serait l’échec. Le but, c’est de passer par toutes sortes d’émotions afin de se remettre en question et de sortir de la fameuse « zone de confort » dont on parle tout le temps.

Et pour enchaîner sur cette partie du débat, quelles ont été les réactions après la projection de ton film ? Les échos sont-ils positifs ou négatifs ? Y a-t-il eu des débats justement ?

Je trouve ça très positif dans l’ensemble car il y a eu beaucoup de réactions fortes. Mais je pense que Spit’n’Split est aussi un film qui doit se digérer. J’ai parlé avec pas mal de monde dans la demi-heure ou l’heure qui ont suivi la projection mais j’ai l’impression que c’est un film qui peut travailler encore quelques jours après. Des réflexions peuvent encore émerger par la suite. Après ça, oui, j’ai eu pas mal de réactions mais je ne m’attendais pas à bénéficier d’un accueil aussi positif en fait. Il semblerait que les gens aient aimé s’être fait avoir, ce qui est génial. Même après le film, les gens se demandaient ce qui était vrai ou faux. Ils avaient l’air assez perturbés par ça alors qu’à la base, avec le groupe et les monteurs, on s’était dit que les gens n’y croiraient jamais. La blague est tellement poussée à l’extrême qu’il était impossible pour nous que les spectateurs croient que c’était vrai. Mais comme ils ne connaissent pas forcément le groupe, certains l’ont pris très au sérieux. Trop peut-être.

Et les discussions après coup sont très passionnées, les gens sont très curieux. Finalement, j’ai l’impression que c’est comme un tour de magie. Il y a quelque chose de magique dans ce film et c’est comme si les gens demandaient au magicien de leur expliquer un tour. Et, au final, après avoir insisté pendant un temps, c’est comme s’ils étaient déçus que je leur explique les coulisses du tournage. Mais vu certaines réactions, il vaut mieux remettre l’église au milieu du village. C’est un film, les membres du groupe ne sont pas des tarés, ce ne sont pas des toxicomanes ou des gens violents et je ne suis pas sadique. Pour tout dire, ce sont de bons pères de famille et la relation entre les membres est tout à fait saine. C’est juste comme si tu filmais des frères qui ont l’habitude de se chamailler et de se rentrer dedans, mais qui s’entendent à merveille.

Tu parles vraiment de ton film avec passion. Est-ce qu’après avoir passé autant de temps sur le projet, tu arrives encore à être objectif par rapport à lui ? Est-ce que lorsque tu regardes ton film maintenant, tu te dis qu’au final, c’était vraiment le film que tu voulais enfanter ?

Objectif, clairement non parce que j’ai trop le nez dedans. Par contre, oui, c’est vraiment le film que je voulais faire, et plus encore, parce que j’alimentais ma « bible » d’idées en tournée, en gardant ce fil rouge qui était de faire un documentaire qui basculerait vers une fiction. Je voulais démarrer sur un genre et conditionner le spectateur pour qu’il se dise que la suite serait identique, pour au final le surprendre et aller vraiment à l’opposé. Et quand je dis que le film était encore plus que ce que je voulais, c’est parce qu’il s’est passé tellement de choses, que ce soit en tournée avec le groupe ou sur le tournage que je me régale en revoyant le film. Car les trois années de sa création ont été très riches en rencontres, en questionnements humains et spirituels. Je suis content d’avoir pu garder le cap mais c’est assez incroyable, ce qui nous est arrivé. C’était un vrai voyage. Je l’ai déjà dit mais je crois que ce film est magique parce qu’il y a eu un truc qui nous a dépassé. Le projet Spit’n’Split (le film et l’album) vit de lui-même et nous a emmenés d’un endroit à l’autre, à travers la Belgique et l’Europe. Il nous a permis de rencontrer énormément de gens. Je ne crois pas que je pourrais refaire ce film parce qu’il est tombé au bon moment, dans une période où le groupe recherchait quelque chose de différent et je me suis nourri des gens que j’ai rencontrés. On a vécu un grand nombre de choses, qui sont bien sûr moins horribles que ce qu’elles paraissent dans l’histoire, mais qui sont véritables, mémorables et qui ont vraiment marqué ma vie.

« C’est pas une tournée, c’est des vacances. C’est les vacances du rock » (Jerms)

Que répondrais-tu aux personnes qui seraient amenées à dire que ton film n’a rien à faire dans un festival comme le BIFFF ?

Je crois que le film était avant tout bien dans sa catégorie, une catégorie que le festival assume complètement et qui est La 7e Parallèle. Cette catégorie est celle des films « étranges ». Et je pense que Spit’n’Split a réellement une dimension étrange. Il y a une partie complètement onirique, distillée un peu partout dans le film. Il y a même un grand méchant qu’on adore détester. C’est très BIFFF tout ça. Et pour ce qui est des mauvaises langues, tu sais…

Crois-tu que les membres de The Experimental Tropic Blues Band montreraient le film à leurs parents ?

Sans doute. Je serais curieux d’avoir leur retour. Moi, en tout cas, je l’ai montré aux miens. Ils étaient là au BIFFF et ils étaient fiers. Ils ont vraiment compris la démarche artistique derrière ce film. On a utilisé des choses que les musiciens avaient en eux pour exorciser des frustrations qu’ils ressentaient mais ça reste une fiction. Et donc ils jouent un rôle, tous.

Tes parents sont donc fiers de leur gamin ?

Très fiers, apparemment, et même émus car ils ne s’attendaient pas à voir une salle aussi remplie et un tel engouement pour le film. Sous des dehors de cancres, on a beaucoup travaillé. Le spectacle d’école est donc bien approuvé, vivement le prochain !

Propos recueillis par Guillaume Triplet

Un dossier préparé par Jean-Philippe Thiriart

En Cinémascope a 10 ans : ils nous et vous souhaitent un bon anniversaire !

En Cinémascope a 10 ans : ils nous et vous souhaitent un bon anniversaire ! 1920 1080 Jean-Philippe Thiriart

En Cinémascope a dix ans. Dix ans déjà !

Une quinzaine d’actrices et d’acteurs du cinéma qui, chacune et chacun à leur manière, et pour des raisons différentes, nous tiennent à cœur, ont tenu à nous souhaiter, à vous souhaiter, un très joyeux anniversaire.

Merci à eux et merci… à vous !

Excellent anniversaire à celles et ceux qui nous suivent depuis le début, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui nous ont rejoint entre-temps !

Jean-Philippe Thiriart et toute l’équipe de En Cinémascope

Captation : Mazin Mhamad, Sem Diamant et Nick Hayman
Montage : Gerardo Marra

Jérôme Vandewattyne, réalisateur de " Slutterball "

SLUTTERBALL a 10 ans : retour sur le court métrage de Jérôme Vandewattyne

SLUTTERBALL a 10 ans : retour sur le court métrage de Jérôme Vandewattyne 2560 1442 Jean-Philippe Thiriart

Slutterball, le deuxième court métrage pro de Jérôme Vandewattyne (également leader de VHS From Space, groupe de rock grunge psychédélique dont le nouvel album sortira bientôt), fête cette année ses dix ans. Réalisé un an après She’s a Slut (trailer-off, en 2011, du Festival International du Film Fantastique de Bruxelles, le BIFFF), il sera suivi, cinq ans plus tard, du premier long de Jérôme, le documenteur Spit’n’Split. Cinq autres années se sont écoulées depuis lors et Jérôme et son équipe viennent de boucler, voici trois jours, le tournage de leur nouveau bébé : le long métrage The Belgian Wave.

The Belgian Wave a bénéficié de l’aide à la production légère de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La phase de montage démarre ce 15 juillet, pour une finalisation du film en mars 2023. L’image a été mise en lumière par Jean-François Awad, avec lequel Jérôme a réalisé chacune de ses dernières publicités. Quant au scénario, il a été écrit par Jérôme Vandewattyne, Kamal Messaoudi et un autre Jérôme : Jérôme Di Egidio.

Une partie de la fine équipe de The Belgian Wave

Comme on n’a pas tous les jours dix ans, nous vous proposons aujourd’hui un retour sur Slutterball, avec une interview du réalisateur réalisée alors. Le film avait été tourné dans le cadre du premier CollectIFFF, collection de douze courts métrages réalisés par 19 jeunes cinéastes en hommage au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF).

Notez que ce dernier fêtera lui aussi son anniversaire cette année. Et quel anniversaire : 40 ans ! Il se déroulera du 29 août au 10 septembre prochains au Palais 10 de Brussels Expo.

Nous reviendrons bientôt sur Spit’n’Split avec, au menu, l’interview du réalisateur effectuée peu avant la sortie du film, et les critiques du film et du DVD.

Jérôme, quelles sont tes influences, en général, et pour Slutterball en particulier ?

Slutterball et She’s a Slut sont un petit peu deux courts à prendre en un dans le sens où l’un est un peu la suite de l’autre. Au BIFFF, le public hurlait la phrase « she’s a slut » en voyant le premier court métrage, qui était une fausse bande annonce et qui n’avait pas vraiment de titre, et j’ai eu envie d’aller plus loin avec le deuxième en partant du principe qu’on était tous des « sluts » : les acteurs d’un jeu stupide mais aussi le public qui le regarde. Mes influences, ce sont les films Grindhouse des années 70 et les Midnight Movies (Pink Flamingos de John Waters, Eraserhead de David Lynch, etc.). L’influence première, évidemment, était surtout le film Rollerball. Le but était de reprendre l’idée des jeux remis dans un esprit futuriste avec des guerrières sur des patins, cette fois. Avec des personnages totalement loufoques et en gardant la totale liberté des films Grindhouse, avec une partie de freaks aussi. Je pense aussi à Faster, Pussycat! Kill! Kill! de Russ Meyer et aux films Troma de Lloyd Kaufman.

Est-ce que tu peux nous parler des conditions de tournage, assez rock’n’roll je crois…

C’était compliqué parce que ça a été réparti sur plusieurs mois. On a commencé à tourner en septembre et on a eu fini fin mars. La deadline approchait à grands pas et ça a généré un peu de stress. Dès le départ, j’ai su que je devais monter le film pendant que je le tournais.

Une bonne partie de l’équipe du haut en couleur Slutterball

Comme Gus Van Sant avec Last Days

Oui, tout à fait ! Ou même Lynch dans Inland Empire, bien que lui réécrivait l’histoire, ce qui est un peu différent. Si ça s’est réparti autant, c’est parce que je voulais que le niveau soit supérieur à She’s a Slut. Donc du coup, je voulais y mettre plus de moyens et de préparation mais le problème, c’est que, comme toute mon équipe est entièrement bénévole, je ne pouvais pas avoir les gens à ma disposition comme je le voulais, tout le temps : il fallait à chaque fois trouver un jour qui arrangeait tout le monde et comme on était minimum 15 personnes, ce n’était pas évident. Parfois, on était un peu plus – une trentaine -, surtout pour les scènes de roller.

Peux-tu nous parler des couleurs à présent ? L’étalonnage a été particulier dans le sens où tu as vraiment des couleurs flashy…

Dès l’écriture, je savais que je voulais que la scène où Rémy Legrand meurt, je voulais des peintures dans tous les sens. C’est pour ça que les couleurs jurent autant dans les maquillages et les costumes, par exemple. Au final, ça crée un univers un peu surréaliste en fait. Le but est qu’on ne sache pas trop bien où on est. Le ciel a été beaucoup retouché : il est souvent très bleu, très lumineux, un peu dans l’ambiance des Simpson. On a beaucoup joué avec les perruques : rouges, vertes, bleues. On a aussi joué avec des lentilles de couleur au niveau du maquillage. Finalement, ce qui est marrant, c’est qu’on se rend compte que le personnage qu’est Carlos, un pédophile, est peut-être bien le personnage le moins loufoque de cet univers-là. J’aimais donc bien cette contradiction pour qu’on se demande, au final, ce qu’on est en train de voir. J’aime aussi me dire que tout n’est qu’une mascarade et que ce pauvre gars n’est peut-être même pas pédophile mais qu’il se retrouve flagellé sur la place publique et que personne ne se pose de question.

Au moment de l’étalonnage, j’ai vraiment souhaité qu’on pousse les couleurs au maximum et j’ai eu à un moment une hésitation quant à savoir si j’allais remettre les griffures de pellicule, comme c’était le cas dans She’s a Slut, pour donner un effet Grindhouse, parce que je trouvais très beau de voir cette succession de couleurs flashy qui piquaient les yeux.

C’est notamment ton groupe, VHS From Space, qui est présent à la musique…

Tout à fait. L’idée était de créer des morceaux différents de ce qu’on joue sur scène, pour servir l’univers du film.

Les génériques du film sont très léchés. Quelle importance revêtissent-ils à tes yeux ?

J’accorde vraiment énormément d’importance aux génériques parce que c’est, à mes yeux, un art à part entière. Je trouve ça dommage de regarder un film où le générique n’est pas du tout travaillé. Un générique est comme une hypnose qui te donne directement le ton.

Le BIFFF, ça représente quoi à tes yeux, toi qui as grandi avec le Festival ?

C’est le lieu de tous les possibles. Un lieu de rencontre avec tous les professionnels aussi. Avec des fans du genre. C’est un peu la cour de récré des sales gosses. C’est un défouloir total et c’est pour ça que j’ai voulu rendre hommage à ce public complètement dingue avec Slutterball. Surtout les séances de minuit, qui sont des séances qui m’ont marqué. Je voulais faire du cinéma popcorn pour un peu titiller ce public averti.

Faire partie du CollectIFFF, c’était une évidence ?

J’avais déjà l’idée de Slutterball un peu après She’s a Slut. Je me suis dit que ce serait chouette de faire jouer des patineuses comme dans Rollerball. J’avais émis l’idée aux gars du CollectIFFF qui m’ont dit que Slutterball rentrerait complètement dans ce cadre-là. Ce qui est surtout intéressant dans le CollectIFFF, c’est que chaque réalisateur a une personnalité bien à lui. Tu m’as fait la réflexion que mon film était assez hard et c’était voulu. Je l’ai réalisé pour un public qui attendait des choses qui prennent aux tripes et qui veulent se prendre des images ou des idées fortes. Et au final, ça reste un film bon enfant avec un côté punk et libre.

She’s a Slut comptabilise plus de 4 000 vues…

C’est vrai ? C’est super, d’autant que ça démarrait d’un travail de fin d’études dans une école de communication, l’ISFSC. Et c’était un premier essai pour le grand écran. Les gens semblent avoir apprécié la petite blague. J’espère qu’ils aimeront Slutterball, qui est vraiment un cran au-dessus dans l’humour poisseux et la violence. On a fait ça avec tout notre cœur en tout cas.

Jean-Philippe Thiriart

L'issue sera la même pour tout le monde

CRUELLE EST LA NUIT : critiques du film et du DVD et interview du réalisateur

CRUELLE EST LA NUIT : critiques du film et du DVD et interview du réalisateur 800 533 Guillaume Triplet

Réalisé par Alan Deprez
Avec Kevin Dudjasienski, Bertrand Leplae, Arnaud Bronsart, Pascal Gruselle, Sabrina Sweet, Evangelyn Sougen, Michel Angély, Pierre Nisse, Damien Marchal

Une sortie DVD Chriskepolis et Zeno Pictures
Thriller érotico nihiliste
21 minutes

Récemment sélectionné dans deux festivals turcs (The Gladiator Film Festival et les Golden Wheat Awards) – il sera de ce fait diffusé à Istanbul le 31 décembre prochain -, le court métrage d’Alan Deprez Cruelle est la nuit sera aussi projeté ce 17 décembre à Bourg-en-Bresse dans le cadre du ZOOM et d’une programmation de courts-métrages trash.

En 2020, le film bénéficiait d’une sortie DVD digne de ce nom via les excellentes boîtes Chriskepolis et Zeno Pictures. L’occasion nous est donnée ici de revenir sur cette bande qui s’était déjà fait attendre en 2017 tant sa conception et sa sortie furent repoussées.

Une affiche signée Gilles Vranckx

Le film   ★★★

Retour donc sur un film qui met en avant la créativité dont la Belgique peut encore déborder et l’indépendance de ses créateurs, pour qui le mot « limite » n’a peut-être pas le même sens que pour le commun des mortels.
Un condensé de violence, de poitrines opulentes, de révolte et d’humour noir. Voilà ce qui pourrait donner une idée somme toute exhaustive de la vingtaine de minutes que représente Cruelle est la nuit.

Un soir, Kel, Arno et Sid du collectif Aetna préparent batte de base-ball et flingues pour une expédition punitive. Le but : éliminer le politicien véreux Hein Stavros. Mais à leur arrivée, les trois « activistes » se retrouvent en pleine partie fine, ce qui va quelque peu les contraindre à adapter leur plan.
Dotée de personnages singuliers, Cruelle est la nuit est le genre de bande soignée tant au niveau du scénario que de la réalisation. En effet, si le concept de base surfe sur quelques poncifs presque obligatoires du genre, il n’en est pas moins original. Loin de l’histoire basique du cassage de gueules simpliste, le contexte sociopolitique a son rôle à jouer et la morale de la vanité de la révolte apporte une symbolique réfléchie sans non plus tomber dans l’intello.

Le film doit tenir le spectateur jusqu’au bout et ses concepteurs l’ont parfaitement assimilé, au point d’offrir son lot de démonstration des plaisirs de la chair et d’exagération des scènes gores. À ce propos, on ne peut que saluer les qualités formelles de la réalisation, qui opte pour des cadrages et une photographie apportant de la classe dans le trash, comme si Gaspar Noé ou Jess Franco étaient passés par là pour chacun apporter leur petite touche. La scène de l’orgie en est une preuve, au même titre que celle de la fellation avortée par éventration.
Un des autres points forts est sans nulle doute la musique, qui participe à l’assombrissement du propos et à la tension du film grâce à des rythmiques industrielles du meilleur effet.

Le réalisateur Alan Deprez s’est fait plaisir en mêlant ses différentes influences esthétiques et cinématographiques, tout en insufflant une vision pour le moins nihiliste de l’existence. Mais il évite la complainte en choisissant un traitement des personnages qui permet de jouer subtilement la carte de l’ambiguïté tant le spectateur n’est pas pris par la main et guidé par une sorte de manichéisme démagogique. Life is a bitch.


Le DVD et ses bonus   ★★★

En termes de suppléments, Zeno Pictures propose quelque chose de sobre mais bougrement instructif.
Si le making of de 23 minutes décortique la conception des scènes phares du film, il laisse également la parole à certains des acteurs et met en avant l’incroyable travail de l’équipe technique, du cadreur à la maquilleuse, pour percer quelques-uns des secrets de fabrication du court métrage.
On déplorera par contre l’absence d’intervention de la part du réalisateur, dont la vision artistique aurait sans doute été digne d’intérêt. Nous vous renvoyons pour cela à l’interview d’Alan Deprez, réalisée au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF) et que vous retrouverez ci-dessous.

La suite se compose de deux interviews réalisées lors du Retro Wizard Day 2018. Des interviews très intéressantes puisqu’elles donnent la parole aux encyclopédies vivantes que sont David Didelot (Vidéotopsie) et Didier Lefèvre (Médusa Fanzine) d’une part, et à Damien Granger (ex-rédac chef de Mad Movies et auteur des divers volumes de B-Movie Posters et de Horror Porn : La fesse cachée du cinéma d’exploitation), d’autre part, qui apportent chacun leur analyse éclairée du film. L’occasion de mettre en évidence les multiples références, volontaires ou involontaires, que contient Cruelle est la nuit ou encore sa portée symbolique.

Enfin, le tout est accompagné d’un petit livret de 20 pages présenté comme un manifeste dans lequel l’éminent journaliste Pascal Françaix (La Septième Obsession, entre autres, et l’auteur de Torture Porn : L’horreur postmoderne, Teen Horror : De Scream à It Follows et Camp ! vol. 1 : Horreur et Exploitation) décortique à son tour le film d’Alan Deprez. Notez que le texte de ce livret, rédigé en français, est aussi disponible en anglais. Les anglophones n’ont décidément pas été oubliés puisque des sous-titres anglais sont également disponibles pour les bonus du DVD.
Quant au film en lui-même, il peut être visionné avec des sous-titres optionnels anglais, néerlandais, français (sourds et malentendants), allemands, espagnols et italiens.

Le DVD est disponible à l’achat sur le site de Zeno Pictures.

Guillaume Triplet

L’interview du réalisateur

Rencontré à Bruxelles à l’occasion du BIFFF 2017, Alan Deprez a décortiqué avec nous la conception de son film et les enjeux de celui-ci. Mais ce fut également l’occasion de simplement parler cinéma et d’entendre son avis sur la situation. Entre coups de gueule, coups de cœur et débat sur le genre, voici l’entretien pour le moins conséquent que nous avons eu avec lui.

Crédit photo : Charles Six

Cruelle est la nuit est un court métrage qui renferme de nombreux concepts : une espèce de révolte politique qui part ensuite dans tous les sens (sado-masochisme, violence graphique…). Peux-tu nous expliquer ton idée de départ ?
C’est assez compliqué en fait. Je ne voulais surtout pas faire une œuvre hyper référentielle ou trop consciente de ses références, parce que c’est quelque chose qui m’insupporte de plus en plus. Je ne supporte plus tous ces « jeunes » réalisateurs d’une première œuvre ou de premières œuvres qui, constamment, font des clins d’œil à des œuvres ayant marqué leur cinéphilie et qui se complaisent, d’une certaine façon, dans cet art de la référence. J’en ai un peu marre du recyclage. Curieusement, je ne sais plus d’où m’est réellement venue cette idée de personnages étrangers à un milieu et qui débarquent dans une partie fine. La post-production a aussi été interminable car au départ, le film devait être prêt pour 2016. Mais comme à chaque fois, je veux faire simple et, finalement, je fais plus compliqué ! Je m’étais dit qu’on allait faire un huis clos pour ne pas être tributaire des extérieurs. La première vision que j’ai eue était ces mecs qui partent en mission dans le but d’assassiner une personnalité influente et sont un peu pris au dépourvu puisqu’ils débarquent en pleine partouze. Ensuite, la nature très noire et nihiliste du film existe car, en cours d’écriture, j’ai perdu deux personnes qui comptaient énormément pour moi, à savoir ma grand-mère et mon cousin ; ce qui m’a fait traverser une période assez douloureuse. D’ailleurs, Cruelle est la nuit leur est dédié. Il y a donc une dimension très personnelle dans le projet et l’humour qu’on peut retrouver dans le film n’est arrivé que plus tard. Il y a un peu de moi dans chaque personnage car, même si je me considère comme apolitique, j’ai mes idées et c’est clair que parfois, je pense qu’il est préférable de tout « brûler » pour repartir sur des bases saines. C’est ce que le personnage de Kel fait dans le film, même s’il s’inscrit dans une démarche tout autre.

Tu parles d’une post-production qui a été tirée en longueur. Dans quelle mesure cela a-t-il joué sur le retard du projet ?

Il y a plusieurs choses qui sont entrées en ligne de compte. Il faut savoir qu’au départ, le court métrage devait être réalisé pour le « CollectIFFF 2 » (NdA : le CollectIFFF est un groupe de réalisateurs de courts métrages dont les œuvres sont soutenues par le BIFFF et diffusées lors d’une édition précise du festival – le premier CollectIFFF a eu lieu en 2012). On a tourné trop tard par rapport à la diffusion prévue pour le BIFFF 2016 et on ne s’en est rendu compte qu’en cours de tournage. Par ailleurs, le monteur ne pouvait pas débloquer tout son temps pour travailler sur le film et en assimiler toute la matière dans un délai si court. La post-production a duré presque dix mois. On a donc monté une bande-annonce, diffusée dans deux festivals mais pas au BIFFF. La projeter au BIFFF aurait pu s’avérer étrange par rapport aux autres films du CollectIFFF, dûment finalisés. C’est vrai qu’on a pris le temps de bien faire les choses, en se disant qu’on avait entre les mains un film très atypique et singulier, à plus forte raison au sein du paysage cinématographique franco-belge et dans le domaine du court métrage. Pour nous, c’était une grande délivrance lorsqu’on a assisté à la première privée du film le 1er novembre 2016 au Cinéma Galeries, à Bruxelles.

Parle-nous un peu de la direction photo. Parce que ton court métrage comporte, comme on le disait, une dimension nihiliste complètement assumée, mais son esthétique est très léchée. C’est sombre mais soigné. Quels étaient tes choix artistiques à ce niveau-là ?

Tout d’abord, cela fait un certain temps que je travaille avec le même chef op, Nicolaos Zafiriou. C’est une vraie collaboration artistique et je ne serais rien sans lui. Si je fais le compte, je crois qu’on a dû bosser sur une trentaine de projets ensemble, même si beaucoup d’entre eux n’ont pas abouti. Il a éclairé mes trois courts métrages, ainsi que trois ou quatre clips, plus d’autres choses. Il faut savoir que je suis quelqu’un qui accorde beaucoup d’importance à l’esthétisme, même parfois un peu plus qu’au scénario ou au récit en lui-même. Certes, le scénario est fondamental, mais en tant que spectateur, je peux être séduit par un film qui aurait des carences scénaristiques, mais qui, visuellement, serait sublime. Par exemple, si on s’attarde sur Suspiria de Dario Argento, ce n’est pas un modèle de construction scénaristique : ce qui fait qu’on reste accroché est en grande partie dû à la direction photo de Luciano Tovoli. Je fonctionne comme ça et c’est ainsi qu’on a fonctionné sur Cruelle est la nuit. « Zaf » (Nicolaos Zafiriou) et moi avons défini une esthétique. Nous voulions une caméra qui avait une bonne sensibilité pour le grain de la peau. Pour parler un peu technique, nous avions opté pour une caméra assez rare : l’Ikonoskop, une caméra suédoise dont la licence a été rachetée par une boîte belge, qui, par la suite, a directement fait faillite. On a vite compris pourquoi (rires), puisqu’elle était très « prototype » et nous a créé les pires emmerdes sur le tournage. Elle surchauffait tout le temps et causait parfois pas mal de problèmes au niveau de l’enregistrement des rushes (on s’est retrouvés avec des rushes inutilisables, altérés par de fines trames rappelant l’image d’une VHS usée). Mais on l’avait choisie parce que c’était une des caméras qui imitait le mieux le grain du 16 mm. On avait aussi deux autres caméras : une pour les plans un peu plus « clippés » et tournés de nuit, l’autre destinée à servir de deuxième caméra (NdA : respectivement une Sony Alpha 7S et une Pocket Black Magic, qui « matche » plutôt bien avec l’image de l’Ikonoskop). Il est vrai que pour nous, l’esthétique était super importante.


Tu mentionnais ton choix de caméra qui rendait bien le grain de la peau et tu nous parlais de Suspiria… On aurait envie de faire un parallèle avec David Lynch (NdA : Alan nous avait déjà expliqué auparavant être un grand fan de ce réalisateur). Est-ce un réalisateur qui t’influence dans tes créations ?

Peut-être bien. En tout cas il a eu un aspect fondateur pour moi parce qu’à la base, je suis un simple fan, mais c’est en découvrant Blue Velvet que j’ai voulu devenir réalisateur. Pour moi, il y a vraiment eu un avant et un après Blue Velvet. Par contre, je suis moins fan de ce qu’il a fait « récemment », comme ses travaux vidéo ou encore Inland Empire (son dernier long-métrage, datant de 2006), qui m’a un peu horripilé. David Lynch est un réalisateur purement « sensoriel », qui sait faire fi de toutes les conventions scénaristiques encore de mises dans le métier, afin d’emmener le spectateur vers l’émotion pure.

Et le giallo ? C’est un style qui t’a aussi marqué dans ton parcours cinématographique ?

J’aime beaucoup les gialli, même si je trouve qu’en ce moment, certains éditeurs en sortent un peu trop. Il y a donc une certaine overdose de gialli et c’est un peu dommage car, par exemple, pour parler d’œuvres bis, il n’y a pas que le cinéma bis italien, mais des « films d’exploitation » partout dans le monde. Il y a certains films bis grecs ou encore indonésiens qui ne sont pas exploités chez nous et heureusement qu’il y a des éditeurs comme Mondo Macabro aux États-Unis pour s’occuper de ça. Mais pour en revenir aux gialli, c’est clair que j’aime beaucoup la sensualité qui s’en dégage. Leur côté sensuel et charnel aussi, puisque c’est quelque chose qui me touche. Il y a pas mal de gialli que j’aime beaucoup comme Mais qu’avez-vous fait à Solange ?, qui est génial, ou encore certains films de Sergio Martino avec Edwige Fenech, qui est une actrice magnifique dont je tombe amoureux à chaque film (rires). Toutes les Couleurs du Vice n’est pas forcément cité par tout le monde mais il est génial, tout comme Le Venin de la Peur de Lucio Fulci, qui se situe presque par moments entre le giallo et le film psychédélique. Mais il y en a tellement… J’aime aussi beaucoup les gialli prenant racine à Venise, comme Terreur sur la Lagune. Ils ont vraiment capté cette atmosphère de décrépitude propre à Venise, décelable par ailleurs dans La Clé de Tinto Brass, un cinéaste que j’adore. De ce réalisateur, j’apprécie beaucoup Caligula, même si le film a été truffé de plans hards retournés par le grand patron de Penthouse à l’époque, Bob Guccione. Il est évident que je suis sensible à la « recherche de sensualité » qui caractérise ce genre de films. Je pense que c’est le genre de bandes qui nécessite de savoir se déconnecter et de ne pas intellectualiser ce qu’on voit pour l’apprécier pleinement. La symbolique est très forte aussi et ça, c’est quelque chose qui me parle. Il y en a d’ailleurs beaucoup dans mes films.

Justement, le spectateur peut pointer différentes symboliques dans Cruelle est la nuit. Comme au niveau esthétique, tu as des influences qui se ressentent clairement. Si cette esthétique va de pair avec la symbolique, peux-tu nous expliquer celle-ci par rapport à ton court métrage ?

Ce qui serait intéressant serait que toi, tu me dises ce que tu y as décelé.

La première chose qui m’a frappé dans ton film au niveau symbolique, c’est le nihilisme. Il est très présent. Ensuite, il y a des phrases qui sont énoncées par tes personnages comme, par exemple, celle qu’on pouvait déjà entendre dans le trailer de Cruelle est la nuit qui est « Au final, l’issue sera la même pour tout le monde. » Elle montre bien la vanité de la révolte. On se révolte, OK, mais finalement, comme le fait comprendre ton personnage principal, c’est un peu comme pisser dans un violon…

C’est marrant, car j’en parlais il n’y a pas si longtemps que ça avec Pascal Françaix, journaliste et essayiste, qui, l’an dernier, a écrit un brillant ouvrage sur le torture porn (Torture porn : L’horreur postmoderne). Nous étions invités dans la même émission de radio. Il m’a soufflé que, pour lui, Cruelle est la nuit est un film postmoderne qui a su digérer pas mal d’éléments d’œuvres antérieures et dans lequel, surtout, on ne prenait parti pour aucun camp. Il y a une sorte de « pourriture généralisée ». Dans le camp des assaillants, il y a un discours très marqué, mais leur idéologie n’est pas plus défendable que les petits intérêts de l’homme politique à qui ils en veulent, qui est complètement véreux et organise des parties fines chez lui. À côté de ça, la dimension nihiliste, comme on l’a dit plus tôt, me touchait beaucoup. Je pense qu’on est dans une époque un peu artificielle, un peu « fake » et surconnectée, où les gens ont perdu le contact avec les choses et se sentent obligés de donner un avis sur tout – d’avoir tout vu, tout lu, tout entendu, alors que c’est impossible. Je crois qu’il faut savoir se « reconnecter » aux choses. Nous sommes allés trop loin… Nous nous trouvons dans une époque complètement désenchantée, que l’on traverse avec la peur au ventre, provoquée notamment par les divers actes terroristes qui ont émaillé ces dernières années. J’espère que les gens qui verront notre film pourront y déceler cela, parce que c’est clairement sur cette base qu’il a été conçu : cette peur et cette façon d’insuffler la terreur dans l’inconscient des gens. Maintenant, des personnes redoutent de sortir de chez elles, d’aller à des concerts, de prendre les transports en commun…. Le film renvoie un peu en creux cette image-là.

Sans tomber dans la métaphysique, est-ce que tu voulais faire émerger une espèce de réflexion sur l’existence à travers Cruelle est la nuit et peut-être faire réfléchir les gens sur le fait qu’il existe des valeurs auxquelles on peut encore se raccrocher ?

Il y a pas mal de choses qui sont dénoncées dans le film. Si on s’attarde sur Kel (incarné avec intensité par Kevin Dudjasienski), il s’agit d’un personnage qui est complètement déconnecté de la réalité et qui a perdu le contact avec son prochain. Pour lui, les personnes qui l’accompagnent ne sont même pas des frères d’armes, mais simplement de la chair à canon. Ça vient renforcer cet angle nihiliste car quand on regarde l’itinéraire de Kel, c’est une sorte d’itinéraire vers un suicide… C’est quelqu’un qui veut mourir mais ne veut pas « mourir de sa propre mort ». Il se construit donc une espèce de quête presque mystique avec pour apothéose l’assassinat d’un homme politique (Stavros, joué par Pascal Gruselle). C’est une manière de planter le couteau dans le dos de toute cette petite bourgeoisie, bien que ça n’ait plus beaucoup de sens… C’est aussi pour ça que dans le film, Stavros lui affirme que la lutte des classes est terminée. À l’heure actuelle, on est bien au-delà de ça. Cette guerre, on l’a perdue depuis longtemps. Nous vivons maintenant dans un monde où tout est contrôlé par tous ces grands conglomérats et les multinationales. À titre d’exemple, toute cette mode du véganisme part d’une bonne intention, mais même si on paie bien cher nos produits bio – ce que je fais souvent -, le sol est tout de même pollué et la plupart du temps, on ne sait même pas lorsqu’on ingère des OGM ou d’autres produits nocifs. Sinon, pour en revenir au film, il y a surtout un côté très désenchanté. Pour traiter d’un autre personnage, Sid (Bertrand Leplae), est simplement quant à lui dans une quête de virilité : c’est un faux dur et il surjoue ce côté « brut ». Sa batte de baseball est un peu l’extension de sa virilité. Et a contrario, le personnage d’Arnaud (Arnaud Bronsart) est un peu une façon de stigmatiser une partie de cette jeune génération qui ne partage plus les mêmes valeurs que nous. De vrais « branleurs » ! (rires) Ça m’insupporte, ces nouvelles générations qui n’ont plus le respect des aînés, ne prennent même plus la peine de prouver des choses par leur travail ou par leurs actes, et qui pensent que tout leur est acquis. Le personnage d’Arnaud représente quelqu’un dont la vie est un peu vide de sens et qui tente de lui en donner un en participant à cette mission, mais il y va un peu « comme s’il allait à Walibi » (NdA : Walibi est un parc d’attraction belge). C’est Arnaud qui m’avait soufflé ça durant une lecture du scénario. Il y va pour les sensations fortes mais toute la dimension politique insufflée par le personnage de Kel lui est complètement étrangère. Il y a des tas de choses dans Cruelle est la nuit. Ce n’est absolument pas humble de dire cela, alors que pour moi l’humilité est hyper importante, mais j’avais envie de donner un grand coup dans la fourmilière avec ce film car, comme je te le disais plus tôt, j’en ai vraiment marre de toute cette mouvance de courts métrages qui ont une approche condescendante vis-à-vis du genre, qui se complaisent dans les clins d’œil et uniquement dans ceux-ci. Ils balancent simplement toutes leurs références à l’écran et voilà…

C’est limite parodique pour toi ?

Oui, c’est parodique et j’en ai un peu ma claque. J’en ai vraiment marre de ce côté ricaneur où on adresse systématiquement des clins d’œil aux spectateurs. Par exemple, je n’ai rien contre les films de la Troma et j’en apprécie même certains, mais je suis passé à autre chose. Comme je te l’ai dit plus tôt, il y a des évènements intimes qui m’ont fait changer. Mes envies de cinéma ne sont plus les mêmes qu’avant. J’ai envie de tenter une greffe de différents genres dans mes courts et qu’il y ait des variations « tonales », comme passer d’une facette crue, charnelle ou sexualisée à un aspect plus drôle. Qu’il y ait vraiment un melting-pot de tout cela.

Crédit photo : Ketchup Book

Mais, en fait, ce que tu expliques là, ce sont différents côtés du cinéma dont tu es issu, quand on sait ce que tu fais. Quand on te lit dans la presse (CinémagFantastique, Mad Movies…), on perçoit ta culture cinéma en général, mais aussi et surtout celle qui concerne le cinéma de genre, le cinéma asiatique ou encore le cinéma porno. Tu avais envie de mélanger un peu tout cela avec Cruelle est la nuit ?

Oui, voilà. Et de nouveau, ça va paraître con ce que je vais dire, mais insérer des scènes de sexe non simulé dans un format de court métrage, je n’ai pas l’impression que ça ait déjà été fait ou du moins, pas de cette façon-là. Désolé, mais il fallait des couilles pour oser le faire… Je trouvais ça interpellant. Le fait aussi de réunir un casting hétéroclite, où on associe une ex-star du porno (la ravissante Sabrina Sweet) avec des acteurs « traditionnels » comme Damien Marchal ou Bertrand Leplae, qui se retrouvent au beau milieu de vrais libertins, donc d’actes sexuels non simulés. Ça m’intéressait beaucoup. J’aimais beaucoup également le fait d’y introduire un acteur comme Pierre Nisse, qui a énormément de génie dans sa folie. Pour l’équipe technique, c’était assez nouveau car si, pour ma part, j’avais déjà eu l’occasion de tourner des reportages sur des plateaux de John B. Root (réalisateur œuvrant dans le porno) pour Hot Vidéo TV, la grande majorité des techniciens de Cruelle est la nuit n’avaient jamais cadré, éclairé ou maquillé des acteurs impliqués dans des séquences « hard ». Ça leur a sans doute fait bizarre au début, mais très vite, leur professionnalisme a repris le dessus. Parfois, c’était même étrange pour moi parce que même si j’avais déjà filmé des reportages de ce genre, ce n’était jamais sur mes propres plateaux. Donc là, je devais choisir les positions des figurants (libertins), composer les couples… C’était particulier d’être à la lisière du hard. Cela dit, j’insiste sur le fait que ce n’est pas un porno et que ça reste un film de genre. Beaucoup de gens ne veulent pas le comprendre et disent que c’est du porno, souvent sans avoir visionné le film. Il faut dire que, depuis que j’ai été salarié chez Hot Vidéo (ça fait bientôt 4 ans que cette époque est révolue), il y a encore pas mal de personnes qui disent que je fais du porno ou que je suis dans le milieu. Mais c’est totalement faux, même si j’ai pu écrire des articles sur ce sujet. Cruelle est la nuit n’est pas pornographique. C’est un court métrage de genre avec du sexe non simulé comme il pourrait y en avoir dans les films de Gaspar Noé, par exemple.

Est-ce qu’avec Cruelle est la nuit, vous avez pu faire passer tout ce que vous vouliez, ton équipe et toi ? Avez-vous été totalement libres en termes de création ou y a-t-il encore eu des limites qu’on vous aurait imposées ?

Pas vraiment. Les limites qu’on a pu rencontrer sont les limites de chaque court métrage. C’est-à-dire des limites budgétaires, puisque le film n’a pas un budget faramineux et que les inscriptions en festival continuent de coûter très cher. Il y avait aussi des limites de temps parce que ce qu’on a tourné en cinq jours aurait normalement dû nous en prendre dix. On subissait un rythme infernal, surtout concernant les trois jours pendant lesquels on a tourné dans la villa. On tournait tous les jours de 9 heures du matin jusqu’à facilement 3 ou 4 heures du matin le jour suivant… Au bout d’un moment, l’équipe technique avait envie de me tuer. Il a fallu nous forcer – le cadreur (Benjamin Liberda), le chef op (Nicolaos Zafiriou) et moi – à descendre en régie pour nous alimenter, parce qu’on ne mangeait même plus. On courait après notre vision, plus précisément après la mienne, car toute l’équipe était derrière moi. De toute évidence, il y a toujours un peu de frustration, mais il s’agit certainement, de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, du résultat le plus fidèle par rapport à ce que j’avais couché sur papier. Cela étant, on a quand même dû laisser tomber une quarantaine ou une cinquantaine de plans ; ce qui nous a parfois compliqué la vie au montage. Ça ne me déplait pas du tout mais arrivés à un certain stade, pour certaines scènes, nous avons quasiment été forcés de partir sur quelque chose d’encore plus conceptuel ou de plus minimaliste.

Pour clôturer l’entretien, tu peux nous dire un peu quelles sont globalement les réactions et les échos que tu as déjà pu avoir par rapport à Cruelle est la nuit, puisqu’il a déjà été projeté à différents endroits et festivals ?

Globalement, les échos sont positifs ou même parfois très bons.

S’il y avait une critique négative que tu devais retenir, ce serait laquelle ?

C’est assez difficile à dire. Je suis prêt à prendre en compte n’importe quelle remarque à partir du moment où elle est constructive. Je peux comprendre que certaines personnes aient un problème avec notre film, avec ses plans explicites ou d’autres éléments subversifs. Tu vois, par exemple, une personne m’a reproché que pour elle, Cruelle est la nuit était « gratuit ». Alors qu’au final, tu te rends compte que cette personne n’avait pas du tout fait gaffe aux dialogues ou surtout, aux voix off en début de film. Sans cela, il n’a plus de sens… Ce n’est pas un film mainstream ni un grand film fédérateur, mais il n’a pas été pensé pour être tiède : soit tu y adhères complètement, soit tu le rejettes en bloc. Tant qu’il ne laisse pas les gens de marbre !

Propos recueillis par Guillaume Triplet

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

Sortie littéraire : CINÉMA ABC. LA NÉCROPOLE DU PORNO

Sortie littéraire : CINÉMA ABC. LA NÉCROPOLE DU PORNO 2518 2560 Jean-Philippe Thiriart

Notre cote : ★★★

CFC-Éditions publiait, pas plus tard qu’hier, Cinéma ABC. La nécropole du porno, un ouvrage de Jimmy Pantera. ABC pour « Art Beauté Confort », un cinéma situé de 1972 à 2013 aux numéros 147 et 149 du Boulevard Adolphe Max, qui promettait d’y voir des films « plus qu’inattendus ». Le Cinéma ABC fut le dernier cinéma porno bruxellois à projeter des films en 35 millimètres accompagnés de live shows de stripteaseuses, un des derniers au monde même.

Richement illustré de photos d’exploitation – pratiquement toutes suffisamment censurées que pour que les bienpensants puissent continuer à bien penser –, de cartons, d’affiches de films et de panneaux promotionnels, ce livre a le mérite d’exister ne fût-ce que parce que, comme l’explique le philosophe Laurent de Sutter, qui préface l’ouvrage, « il n’existe sans doute aucune différence entre une salle de cinéma pornographique, et une salle qui ne le serait pas ». D’où l’intérêt, aussi, de mettre en avant ce type de cinéma via la présentation d’un livre dédié à un lieu qui l’a accueilli pendant pas moins de 41 ans. Et d’ajouter qu’il faut aimer tous les types de cinéma, pornographique inclus car « leur disparition signalera sans doute que les êtres humains, alors, auront perdu une manière de désirer ».
Jimmy Pantera précise dans l’avant-propos de son livre que les stripteaseuses – celles de l’ABC donc notamment – « symbolisaient pour leurs dévots un simulacre platonicien, celui de l’allégorie de la caverne ». Un avant-propos dans lequel il détaille que l’ABC représentait pour d’aucuns « l’ultime cercle de l’enfer d’un genre cinématographique pulsionnel honni (…) abîme du septième art, mais aussi cimetière de la morale ». C’est dans ce cercle que nous sommes invités à pénétrer.
Pantera ne manque pas de souligner l’importance du cinéma Nova et de son équipe dans la naissance de son dernier bébé. C’est en effet ce lieu très spécial du septième art qui est le conservateur des archives de l’ABC. Il met d’ailleurs régulièrement à l’honneur le patrimoine de ce dernier, notamment via la projection de films qui y ont été diffusés. On y apprend ainsi avec intérêt que l’ABC offrait au spectateur un « luxe cinéphilique rare avec cent pour cent de films projetés en pellicule », soit davantage que le Musée du Cinéma de la Cinémathèque royale !

Plus loin, parole ou plutôt plume est donnée à JJ Marsh, historien du cinéma pornographique et fondateur de l’Erotic Film Society, qui partage avec le lecteur nombre d’anecdotes vécues lors de ses passages à l’ABC. Il explique ainsi y avoir retrouvé une habitude qu’il avait adoptée lors de ses visites dans les cinémas pour adultes de Londres durant les années 1980. Il s’asseyait « sur une revue chrétienne évangélique américaine ramassée dans le métro ». Point de cela à l’ABC mais, en lieu et place de la revue chrétienne, « un dépliant du magasin de téléphonie mobile voisin ». Il nous raconte qu’il vivait le court délai précédant la montée sur scène de la danseuse sur le point d’effectuer un striptease comme une plongée dans les limbes, allant jusqu’à se demander si le monde extérieur n’avait pas disparu, si lui et les autres spectateurs allaient « passer l’éternité à attendre une stripteaseuse qui n’arriverait peut-être jamais. » Soit « une variation classée X d’En attendant Godot », ajoute-t-il. Des stripteaseuses qui étaient parfois suivies « par deux ou trois spectateurs en quête de suppléments ou dévorés par un optimisme libidineux ». Il met lui aussi en avant le labeur du cinéma Nova et de ses bénévoles dans le travail de déménagement, de conservation et de restauration des copies de l’ABC, ainsi que l’importance du Festival Offscreen, « consacré au cinéma de genre  » déviant  » et organisé depuis 2008 dans différents lieux bruxellois, dont le cinéma Nova ». Savoureux aussi est son questionnement quant au décor des toilettes, de couleur rouge. Il y voit possiblement une association avec « chaleur, passion, sang ou encore enfer ».

Vient ensuite une section de près de 80 pages intitulée « Pornorama », dans le préambule de laquelle nous apprenons par exemple que si l’ABC possédait, parmi ses milliers de bobines, des longs métrages X cultes, on y découvrit aussi des œuvres très peu connues, proposant de nouvelles perspectives sur certains pans de l’histoire du cinéma, comme Seven Delicious Wishes, un porno de Lloyd Kaufman, futur créateur de la compagnie Troma et son célèbre Toxic Avenger. Et puis cela va des stags aux Nudies et Roughies américains, des grindhouses aux États-Unis toujours, et du mondo italien au Porno chic, en passant par les Glamour films en Angleterre.
Dans « Défense d’afficher », sont présentés des documents pouvant être répertoriés en cinq catégories : pavés de presse, dossiers de presses, affiches de cinéma, photos d’exploitation, et panneaux peints et cartons typographiques.
« Parade du charme » regroupe une quinzaine de récits de témoins de l’histoire de l’ABC, comme ceux de l’avocat Alain Berenboom, du cinéaste Roland Lethem, du docteur en histoire Nicolas Lahaye ou encore de stripteaseuses de l’ABC et de projectionnistes qui ont permis au cinéma d’exister pendant plus de quarante ans.

JJ Marsh voit dans la disparition du cinéma ABC « la fin d’une époque ». Cinéma ABC. La nécropole du porno vous permettra de prolonger, le temps de sa lecture, la magie d’une partie de l’histoire du cinéma bruxellois !

Expo à la Maison CFC et soirée au Nova

L’exposition Cinéma ABC. La nécropole du porno se tient aujourd’hui et demain, samedi 19 septembre, à la Maison CFC, rebaptisée pour l’occasion Maison ABC. On peut y découvrir une sélection d’affiches et de visuels promotionnels de films présentés à l’ABC.

Enfin, ce samedi, encore, une soirée ABC sera organisée au cinéma Nova avec, au menu : films, longs et courts métrages confondus, surprises et rencontre avec l’auteur. Plus d’infos sur nova-cinema.org !

Nos cotes :
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Jean-Philippe Thiriart