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Jérôme Vandewattyne, réalisateur de " Slutterball "

SLUTTERBALL a 10 ans : retour sur le court métrage de Jérôme Vandewattyne

SLUTTERBALL a 10 ans : retour sur le court métrage de Jérôme Vandewattyne 2560 1442 Jean-Philippe Thiriart

Slutterball, le deuxième court métrage pro de Jérôme Vandewattyne (également leader de VHS From Space, groupe de rock grunge psychédélique dont le nouvel album sortira bientôt), fête cette année ses dix ans. Réalisé un an après She’s a Slut (trailer-off, en 2011, du Festival International du Film Fantastique de Bruxelles, le BIFFF), il sera suivi, cinq ans plus tard, du premier long de Jérôme, le documenteur Spit’n’Split. Cinq autres années se sont écoulées depuis lors et Jérôme et son équipe viennent de boucler, voici trois jours, le tournage de leur nouveau bébé : le long métrage The Belgian Wave.

The Belgian Wave a bénéficié de l’aide à la production légère de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La phase de montage démarre ce 15 juillet, pour une finalisation du film en mars 2023. L’image a été mise en lumière par Jean-François Awad, avec lequel Jérôme a réalisé chacune de ses dernières publicités. Quant au scénario, il a été écrit par Jérôme Vandewattyne, Kamal Messaoudi et un autre Jérôme : Jérôme Di Egidio.

Une partie de la fine équipe de The Belgian Wave

Comme on n’a pas tous les jours dix ans, nous vous proposons aujourd’hui un retour sur Slutterball, avec une interview du réalisateur réalisée alors. Le film avait été tourné dans le cadre du premier CollectIFFF, collection de douze courts métrages réalisés par 19 jeunes cinéastes en hommage au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF).

Notez que ce dernier fêtera lui aussi son anniversaire cette année. Et quel anniversaire : 40 ans ! Il se déroulera du 29 août au 10 septembre prochains au Palais 10 de Brussels Expo.

Nous reviendrons bientôt sur Spit’n’Split avec, au menu, l’interview du réalisateur effectuée peu avant la sortie du film, et les critiques du film et du DVD.

Jérôme, quelles sont tes influences, en général, et pour Slutterball en particulier ?

Slutterball et She’s a Slut sont un petit peu deux courts à prendre en un dans le sens où l’un est un peu la suite de l’autre. Au BIFFF, le public hurlait la phrase « she’s a slut » en voyant le premier court métrage, qui était une fausse bande annonce et qui n’avait pas vraiment de titre, et j’ai eu envie d’aller plus loin avec le deuxième en partant du principe qu’on était tous des « sluts » : les acteurs d’un jeu stupide mais aussi le public qui le regarde. Mes influences, ce sont les films Grindhouse des années 70 et les Midnight Movies (Pink Flamingos de John Waters, Eraserhead de David Lynch, etc.). L’influence première, évidemment, était surtout le film Rollerball. Le but était de reprendre l’idée des jeux remis dans un esprit futuriste avec des guerrières sur des patins, cette fois. Avec des personnages totalement loufoques et en gardant la totale liberté des films Grindhouse, avec une partie de freaks aussi. Je pense aussi à Faster, Pussycat! Kill! Kill! de Russ Meyer et aux films Troma de Lloyd Kaufman.

Est-ce que tu peux nous parler des conditions de tournage, assez rock’n’roll je crois…

C’était compliqué parce que ça a été réparti sur plusieurs mois. On a commencé à tourner en septembre et on a eu fini fin mars. La deadline approchait à grands pas et ça a généré un peu de stress. Dès le départ, j’ai su que je devais monter le film pendant que je le tournais.

Une bonne partie de l’équipe du haut en couleur Slutterball

Comme Gus Van Sant avec Last Days

Oui, tout à fait ! Ou même Lynch dans Inland Empire, bien que lui réécrivait l’histoire, ce qui est un peu différent. Si ça s’est réparti autant, c’est parce que je voulais que le niveau soit supérieur à She’s a Slut. Donc du coup, je voulais y mettre plus de moyens et de préparation mais le problème, c’est que, comme toute mon équipe est entièrement bénévole, je ne pouvais pas avoir les gens à ma disposition comme je le voulais, tout le temps : il fallait à chaque fois trouver un jour qui arrangeait tout le monde et comme on était minimum 15 personnes, ce n’était pas évident. Parfois, on était un peu plus – une trentaine -, surtout pour les scènes de roller.

Peux-tu nous parler des couleurs à présent ? L’étalonnage a été particulier dans le sens où tu as vraiment des couleurs flashy…

Dès l’écriture, je savais que je voulais que la scène où Rémy Legrand meurt, je voulais des peintures dans tous les sens. C’est pour ça que les couleurs jurent autant dans les maquillages et les costumes, par exemple. Au final, ça crée un univers un peu surréaliste en fait. Le but est qu’on ne sache pas trop bien où on est. Le ciel a été beaucoup retouché : il est souvent très bleu, très lumineux, un peu dans l’ambiance des Simpson. On a beaucoup joué avec les perruques : rouges, vertes, bleues. On a aussi joué avec des lentilles de couleur au niveau du maquillage. Finalement, ce qui est marrant, c’est qu’on se rend compte que le personnage qu’est Carlos, un pédophile, est peut-être bien le personnage le moins loufoque de cet univers-là. J’aimais donc bien cette contradiction pour qu’on se demande, au final, ce qu’on est en train de voir. J’aime aussi me dire que tout n’est qu’une mascarade et que ce pauvre gars n’est peut-être même pas pédophile mais qu’il se retrouve flagellé sur la place publique et que personne ne se pose de question.

Au moment de l’étalonnage, j’ai vraiment souhaité qu’on pousse les couleurs au maximum et j’ai eu à un moment une hésitation quant à savoir si j’allais remettre les griffures de pellicule, comme c’était le cas dans She’s a Slut, pour donner un effet Grindhouse, parce que je trouvais très beau de voir cette succession de couleurs flashy qui piquaient les yeux.

C’est notamment ton groupe, VHS From Space, qui est présent à la musique…

Tout à fait. L’idée était de créer des morceaux différents de ce qu’on joue sur scène, pour servir l’univers du film.

Les génériques du film sont très léchés. Quelle importance revêtissent-ils à tes yeux ?

J’accorde vraiment énormément d’importance aux génériques parce que c’est, à mes yeux, un art à part entière. Je trouve ça dommage de regarder un film où le générique n’est pas du tout travaillé. Un générique est comme une hypnose qui te donne directement le ton.

Le BIFFF, ça représente quoi à tes yeux, toi qui as grandi avec le Festival ?

C’est le lieu de tous les possibles. Un lieu de rencontre avec tous les professionnels aussi. Avec des fans du genre. C’est un peu la cour de récré des sales gosses. C’est un défouloir total et c’est pour ça que j’ai voulu rendre hommage à ce public complètement dingue avec Slutterball. Surtout les séances de minuit, qui sont des séances qui m’ont marqué. Je voulais faire du cinéma popcorn pour un peu titiller ce public averti.

Faire partie du CollectIFFF, c’était une évidence ?

J’avais déjà l’idée de Slutterball un peu après She’s a Slut. Je me suis dit que ce serait chouette de faire jouer des patineuses comme dans Rollerball. J’avais émis l’idée aux gars du CollectIFFF qui m’ont dit que Slutterball rentrerait complètement dans ce cadre-là. Ce qui est surtout intéressant dans le CollectIFFF, c’est que chaque réalisateur a une personnalité bien à lui. Tu m’as fait la réflexion que mon film était assez hard et c’était voulu. Je l’ai réalisé pour un public qui attendait des choses qui prennent aux tripes et qui veulent se prendre des images ou des idées fortes. Et au final, ça reste un film bon enfant avec un côté punk et libre.

She’s a Slut comptabilise plus de 4 000 vues…

C’est vrai ? C’est super, d’autant que ça démarrait d’un travail de fin d’études dans une école de communication, l’ISFSC. Et c’était un premier essai pour le grand écran. Les gens semblent avoir apprécié la petite blague. J’espère qu’ils aimeront Slutterball, qui est vraiment un cran au-dessus dans l’humour poisseux et la violence. On a fait ça avec tout notre cœur en tout cas.

Jean-Philippe Thiriart

C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS, ce soir en TV : 30 ans déjà !

C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS, ce soir en TV : 30 ans déjà ! 660 287 Jean-Philippe Thiriart

C’est arrivé près de chez vous

Réalisé par Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde
Avec Benoît Poelvoorde, Rémy Belvaux André Bonzel, Jacqueline Poelvoorde Pappaert

Comédie dramatique
1h33

★★★★

Petit rappel de barème…

C’est arrivé près de chez vous fête cette année ses 30 ans ! C’est dans ce cadre que La Trois programme ce soir, à 22h05, le film qui a marqué plusieurs générations de spectateurs belges. Mais pas que.

C’est l’histoire un peu magique d’un film de fin d’études devenu culte.
À l’époque, Rémy Belvaux (1966-2006, frère de Lucas) s’entoure de ses camarades Benoît Poelvoorde et André Bonzel pour réaliser ce vrai-faux documentaire sur Ben, tueur semi-professionnel s’attaquant à la classe moyenne et aux personnes âgées. Le personnage principal embarque alors les membres de l’équipe de tournage dans ses nombreuses péripéties. L’occasion pour Ben de bénéficier ponctuellement d’une assistance bienvenue.

Mais il serait indécent de s’épancher sur l’histoire de ce film tant ce serait un affront à tout cinéphile belge (ou autre) qui se respecte. En effet, C’est arrivé près de chez vous fait indéniablement partie de ces films piliers du cinéma belge. Ces films ayant désormais une place de choix dans le patrimoine cinématographique du plat pays qui est le nôtre. Filmé en 16 mm et en noir et blanc pour contraintes budgétaires, cette comédie à l’humour noir débridé et au côté glauque parfaitement assumé est devenue pépite de la nation qui voit encore aujourd’hui ses répliques aussi bien scandées dans les soirées étudiantes (« Malou… ») que déclamées dans les soirées plus mondaines (aaah la recette du Petit Grégory !).

Ses personnages y sont d’ailleurs pour beaucoup puisque Benoît Poelvoorde, dont c’était d’ailleurs le premier rôle dans un long métrage, campe certes un tueur mais aussi un fils aimant et un camarade à la vision du monde politico-poétique sans nulle autre pareille. Sur ce dernier point, on ne peut passer à côté du rôle tenu par la propre mère de Poelvoorde (jouant donc la mère du personnage principal) qui représente un personnage secondaire fondamental du long métrage réalisé par le trio. Pour l’anecdote, si elle est si authentique à l’image, c’est certainement dû en grande partie au fait que l’équipe du film lui avait présenté son projet comme un réel documentaire sur son fils et non comme une fiction sur un tueur brutal.

C’est arrivé près de chez vous a rencontré un franc succès public et critique en son temps puisque, sélectionné dans différents festivals, il reviendra avec son petit lot de récompenses dont deux rien que durant le Festival de Cannes 1992 (Prix SACD de la Semaine de la Critique et Prix de la jeunesse). Comme quoi, l’autodérision à la belge, le sens de la débrouille et une petite boîte de Cedocards faisaient déjà beaucoup il y a 30 ans !

Guillaume Triplet et Jean-Philippe Thiriart

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

BATMAN : les adaptations du Chevalier Noir sur grand écran

BATMAN : les adaptations du Chevalier Noir sur grand écran

BATMAN : les adaptations du Chevalier Noir sur grand écran 1400 700 Guillaume Triplet

La sortie de The Batman de Matt Reeves nous donne l’occasion de revenir sur les différentes adaptations au cinéma des aventures de la plus célèbre des chauves-souris puisque, même si les différents traitements du personnage depuis les années 60 ne se sont pas toujours valus en termes de qualité, le fait est que l’ombre du super-héros capé de noir a toujours plané sur le 7e Art. Loin d’avoir la prétention de retracer l’histoire complète du personnage et de ses multiples traitements (des encyclopédies ou sites spécialisés le feront bien mieux que ce modeste article), nous nous concentrerons surtout sur le prisme de la toile, qui permet de brasser, dans une certaine mesure, l’évolution de ce personnage torturé, vengeur mais porteur d’espoir car mu par le combat contre l’injustice et la pègre, auquel certains réalisateurs auront rendu un bien bel hommage.

Le muet comme base

Personnage apparu pour la première fois dans le numéro 27 de Detective Comics en 1939, Batman est la création de Bob Kane et Bill Finger. Mais il n’est pas sorti d’un claquement de crayon puisqu’il fut inspiré du film muet de 1926 The Bat (L’Oiseau de Nuit) réalisé par Roland West. L’histoire est celle d’un criminel vêtu comme une chauve-souris géante qui terrorise les hôtes d’une vieille demeure louée par un étrange écrivain. Et il est vrai qu’à la vue de certaines images extraites du film ou même de l’une ou l’autre version de l’affiche de l’époque, la référence saute aux yeux.

The Bat (1926)

L’homme chauve-souris se différencie des autres super-héros, et notamment de Superman, créé un an avant lui, par son absence de pouvoirs surhumains. En effet, son histoire est celle d’un simple quidam qui, sous son costume de chiroptère, décidera de s’attaquer aux crimes qui rongent la ville de Gotham City après avoir été témoin, enfant, de l’assassinat de ses parents par un voyou. La donne est annoncée dès le départ. Batman sera un personnage sombre mais surtout une figure à laquelle le lecteur pourra plus facilement s’identifier du fait de sa normalité.

« West » side story

L’année 1966 marque la création d’une série télévisée (pas la première puisque deux avaient été produites auparavant, en 1943 et en 1949) dans laquelle Batman est incarné par Adam West et Robin, acolyte historique de la chauve-souris depuis les comics de 1940, par Burt Ward. Au total, trois saisons et 120 épisodes seront diffusés entre 1966 et 1968. Le but : redorer quelque peu le blason du personnage dont les ventes de comics se sont montrées plus fébriles depuis 1964.

Mais la première année de diffusion de la série voit également naître, en parallèle, le premier véritable long-métrage consacré au personnage. Batman, réalisé par Leslie H. Martinson, est purement dans l’esprit de la série. Esthétique kitschissime, effets spéciaux rocambolesques, le film, tout comme la série, sont en quelque sorte une extension des comics portée à l’écran. Les couleurs, les costumes ou encore les fameux « paw » et autres « kaboom » apparaissant en pleines lettres dessinées au moment des coups de poings échangés sont là pour le rappeler. Dans ce film, pas moins de quatre méchants se liguaient pour anéantir Batman et Robin : le Joker (Cesar Romero), le Pingouin (Burgess Meredith. Oui, Mickey, l’entraîneur de Rocky.), Catwoman (Lee Meriwether) et le Sphinx (Frank Gorshin). Si l’œuvre de Martinson se caractérise par son côté coloré et les défauts de son époque, elle n’en reste pas moins une espèce de madeleine de Proust pour les plus anciens et donc un film qu’il est agréable de revoir ne serait-ce que pour son côté fantaisiste, son sens parfois basique de la morale, son humour décalé mais aussi et surtout pour sa superbe bande originale empreinte de jazz et de blues.

Batman (1966)

Dream Tim

Il aura fallu patienter pas moins de 23 ans avant de revoir une adaptation du Chevalier Noir sur grand écran puisque c’est en 1989 que sort le Batman de Tim Burton, premier de sa série. Dans la ville de Gotham, le crime et la corruption sont rois. Batman tente tant bien que mal d’éradiquer cela mais aura fort à faire face au personnage de Jack Napier devenu le Joker et dont le but est de semer le chaos tout en gardant le sourire.

Michael Keaton est Batman

Avec ce premier volet, les choses sérieuses commencent puisque Burton insufflera véritablement son univers au film, qui se voudra nocturne, gothique, relativement violent et aux influences mélangeant films de gangsters à l’ancienne, fantastiques et d’horreur. Si Burton prend des libertés par rapport aux comics pour développer l’histoire, il parvient à se rapprocher visuellement de l’ambiance de l’œuvre dessinée de l’époque Bob Kane. Batman reste une réussite de bout en bout grâce à son inspiration, ses effets spéciaux, ses décors, ses costumes ainsi que son admirable trio d’acteurs principaux : Michael Keaton, Jack Nicholson et Kim Basinger. Keaton (ayant incarné Beetlejuice un an auparavant pour le réalisateur) sera choisi pour endosser la cape et le costume malgré une carrure loin d’en imposer et une taille modeste (1,75 m). L’acteur offre toutefois une incarnation du personnage pour le moins crédible pour l’époque (notamment grâce aux dons du costumier Bob Ringwood) et en fait un héros auquel il n’est pas difficile pour le public de s’identifier. Pourtant, on ne peut nier qu’à plusieurs égards, la vedette lui soit de temps à autres volée par un magistral Jack Nicholson dans le rôle du Joker, ennemi historique de Batman. Burton en fait un dandy du crime à la punchline assassine et jamais en manque d’idées. Nicholson crève véritablement l’écran dès le début en tant que lieutenant d’une bande de mafieux mais poussera véritablement le curseur une fois devenu le Joker après avoir été jeté dans une cuve de déchets toxiques par la chauve-souris et remis « en état » par un obscur chirurgien muni d’outils de fortune dans une cave éclairée par une simple ampoule. La bête renaît et annonce la couleur dès sa première apparition.

Jack Nicholson dans le rôle du Joker

L’intérêt du film consiste également en la mise à l’écran une espèce de miroir entre le héros et son double maléfique dans un brillant face-à-face où le personnage de Vicky Vale, photographe de presse incarnée par Kim Basinger, joue un rôle beaucoup plus prépondérant qu’il n’y paraît. Le Batman de Tim Burton se positionne encore aujourd’hui comme une certaine référence que le public de l’époque aura d’ailleurs suivie puisque le premier week-end de sa sortie, le film battra le record du meilleur démarrage en termes de recettes.

Vu comme cela, la Warner aurait eu tort de s’aventurer sur d’autres terrains. C’est donc Tim Burton qui reprendra les manettes pour Batman Returns (Batman – Le Défi, en français) en 1992. Dans la droite lignée du précédent en ce qui concerne la mise en scène, ce second volet opte pour davantage de couleurs froides dans sa photographie.

Michael Keaton rempile en 1992

L’histoire se déroule en période de Noël et les illuminations contrastent efficacement avec le côté froid de la ville et de ses égouts, d’où est issu l’un des ennemis du Chevalier Noir dans cet épisode, le Pingouin. Interprété avec brio par Danny DeVito, il parviendra à se faire une place dans le monde extérieur grâce à une association avec le véreux Max Shreck, joué, lui, par Christopher Walken. Ce vilain duo bien pensé offrira deux facettes intéressantes. D’un côté, la soif de pouvoir de Shreck, de l’autre, le désir de vengeance du Pingouin, cet être difforme abandonné et exclu depuis toujours. Une espèce de médaille à deux faces ayant besoin l’une de l’autre et de dichotomie reflétant encore une fois le personnage de Bruce Wayne / Batman puisque le premier pourrait être amené à négocier avec le businessman le jour tandis que le second combattrait l’homme-alcidé la nuit.

Danny DeVito est le Pingouin

Mais Batman Returns est aussi le film dans lequel apparaît le personnage de Catwoman, campé par la sublime Michelle Pfeiffer. D’abord modeste secrétaire qui se fait défenestrer par son patron Max Shreck, Selina Kyle sera en quelque sorte ramenée à la vie par des chats errants. La survivante se crée le costume qu’on lui connait après sa mésaventure et arpente les rues et toits de Gotham pour goûter à une liberté retrouvée qui s’accompagne de bien des méfaits.

Catwoman jouant au chat et à la (chauve) souris

Superbement écrit et réalisé, le film de 1992 se caractérise également par une certaine liberté de narration de la part de Burton, qui ne respecte pas à la lettre les codes des comics. Mais l’autre prise de distance de la part du réalisateur réside dans le traitement de son méchant principal. Si le personnage du Joker dans le premier volet de 1989 se présentait comme assez chic et subtil, c’est loin d’être le cas ici. En effet Burton met l’accent ici sur le côté hideux du Pingouin dont la saleté et l’odeur de poisson cru paraissent presque palpables. Le metteur en scène semble s’amuser en intégrant dans son film les « freaks » dont il raffole, illustrés par Oswald Cobblepot (vrai nom du Pingouin) mais aussi par son armée de clowns aussi exclus de la société que lui et ses manchots armés de missiles.
Avec Batman Returns, Burton a clairement transformé l’essai que représentait Batman trois ans plus tôt en proposant un film audacieux et libre où la violence monte d’un cran et qui s’adresse donc à un public averti. La Warner ne manquera d’ailleurs pas de lui reprocher, elle qui attendait une œuvre un plus familiale, comme le seront les deux volets suivants.

Schumacher, le fossoyeur

Si Tim Burton laisse les rênes de la réalisation pour le troisième volet, il n’en garde pas moins un œil dessus en embrassant la fonction de producteur. Batman Forever sort en 1995 et est dirigé par Joel Schumacher, clipper et réalisateur au savoir-faire certain (il signe des clips pour INXS ou Lenny Kravitz mais aussi, entre autres, Chute Libre et, par après, 8 MM, Personne n’est Parfait(e) ou encore Veronica Guerin). Pourtant, si le bonhomme a pu mettre sur pied des films qui ont fait date, on ne peut pas dire qu’il ait excellé dans les deux chapitres de Batman dont il a eu la responsabilité.

Batman Forever

L’univers est complètement revu ici avec une esthétique beaucoup plus colorée et flashy voire parfois cyberpunk. C’est Val Kilmer qui reprendra le rôle de Bruce Wayne / Batman dans cette histoire qui voit naître son acolyte Robin, joué par Chris O’Donnel. Ce dernier campe le jeune Dick Grayson, acrobate de cirque recueilli par Wayne après avoir vu sa famille se faire tuer par Harvey Dent / Double-Face (Tommy Lee Jones) lors d’un spectacle. Ils lutteront ensemble contre le précité, qui s’associera quant à lui au Sphinx (Jim Carrey), alter ego d’Edward Nigma, scientifique ayant mis au point une machine pour manipuler le cerveau humain.
Avec Batman Forever, dont le titre et la chanson phare Kiss from a Rose de Seal évoquent un romantisme bas de plafond, on entre dans un registre opposé à ce qui avait été proposé en 1989 et en 1992. Le côté sombre du justicier semble s’écarter au profit d’un film beaucoup plus grand public avec, paradoxalement, quelques scènes suggestives où la très sexy psy de Bruce Wayne, jouée par Nicole Kidman, n’hésite pas à jouer de ses charmes auprès de la chauve-souris. Ça commence à sentir le moisi et les fans ne manqueront pas de le faire entendre tant le film s’apparente à une farce, qui le sera toutefois beaucoup moins que le volet suivant.

Les méchants hauts en couleurs de Batman Forever

Schumacher remet le couvert en 1997 avec Batman et Robin. Mais si l’épisode précédent se présentait déjà comme un premier dérapage, le réalisateur pousse encore plus le curseur dans la mauvaise direction avec celui-ci au point d’en faire tout bonnement une parodie plastique dans laquelle l’authenticité cinématographique est aux abonnés absents. George Clooney enfile la cape, Chris O’Donnel rempile dans le rôle du second couteau, tandis que les méchants seront incarnés par Arnold Schwarzenegger, en Mr Freeze menaçant de plonger Gotham dans la glace si on ne lui permet pas de ressusciter sa femme cryogénisée, et Uma Thurman en Poison Ivy, botaniste allumée désirant que les plantes reprennent le pouvoir. Tout sonne faux. Chris O’Donnel lui-même parlera de ce volet en l’apparentant à « une gigantesque pub pour des jouets » alors que Batman Forever était encore un film. Et on ne peut lui donner tort à la vue de ce spectacle pathétique animé par ni plus ni moins que des figurines grandeur nature. Largement décrié par les fans pour son non-respect du personnage, le film atteindra néanmoins un statut de film culte tant il représente ce qui s’est fait de pire dans la saga jusqu’à présent. Même l’apparition de Batgirl sous les traits d’Alicia Silverstone ne permettra pas de sortir le film du gouffre dans lequel il se sera plongé. Pourtant, et c’est tout à son honneur finalement, Joel Schumacher assumera parfaitement ses erreurs de parcours.

Batman et Robin (1997)

Finalement, le seul dont la classe est restée intacte dans tout cet imbroglio aura été Michael Gough dans le rôle d’Alfred, le fidèle majordome voire père de substitution de Bruce Wayne, qui aura superbement incarné le personnage à quatre reprises depuis le Batman de Tim Burton en 1989. Un record actuellement.

Michael Gough, excellent en Alfred Pennyworth

Nolan, le sauveur

Après un projet avorté en 2001, qui devait voir Darren Aronofsky (Requiem for a Dream) derrière les manettes, c’est en 2005 que le Chevalier Noir trouve un nouveau souffle grâce à Christopher Nolan (Memento, Insomnia…). Le réalisateur britannique offrira une trilogie de très haut vol à l’homme chauve-souris en faisant table rase du passé et en proposant une vision du personnage inattendue pour l’époque mais plus respectueuse des écritures des comics époque Frank Miller.
Pour incarner le Cape Crusader, il fallait un acteur capable de s’investir et de remplir le costume. Le choix se portera sur Christian Bale. Celui-ci avait marqué les esprits en jouant le dérangé Patrick Bateman (quasi homonyme de son rôle futur) en 2000 dans American Psycho mais aussi Trevor Reznik dans The Machinist en 2004, film pour lequel l’acteur avait perdu énormément de poids au point de ne plus peser que 55 kilos. À l’inverse, pour incarner Batman, Bale doit regagner en masse, chose qu’il accepte à grand renfort de nutrition et de préparation pour atteindre le physique rude et sculpté du nouveau justicier. Le choix de Nolan fut le bon tant l’acteur s’est positionné depuis lors comme le meilleur Batman à ce jour. Mais un acteur principal ne fait bien sûr pas tout.

Batman Begins

Les dés sont jetés avec Batman Begins. Nolan reprend le personnage à sa source et offre au spectateur d’assister à la naissance du héros en expliquant tous les passages importants. Du meurtre des parents du jeune garçon à sa première apparition en tant que justicier de Gotham en passant par son rapport aux chauves-souris, son éducation par Alfred (l’excellent Michael Caine), son entraînement drastique dans le camp de Ra’s Al Ghul ou encore la création de son costume et de ses gadgets avec Lucius Fox (Morgan Freeman), tout est passé en revue dans un métrage de 2h20 qui fourmille d’idées à chaque séquence pour un résultat qui dépasse toutes les espérances. La récréation de l’époque Joel Schumacher est définitivement finie. Le nouveau Batman sera noir et d’une densité jamais vue encore. Dans une ville morne rongée par la pègre et la corruption contre lesquelles lutte un commissaire Gordon (Gary Oldman) parfois esseulé, il arrivera à point nommé. Un brin d’espoir dans une Gotham vouée à la destruction par Ra’s Al Ghul, qui ne voit en elle que décadence.
Batman Begins est le renouveau de la série et une réussite totale. Le reflet d’une période cinématographique pour le moins intéressante avec des héros qui s’assument, plus authentiques et donc moins édulcorés, à l’instar de Casino Royale, nouveau James Bond incarné par Daniel Craig, qui sortira l’année suivante. Brillamment mis en scène et à la distribution phénoménale, Batman Begins est acclamé aussi bien par le public que la critique et offre un horizon de possibles pour la suite de la trilogie, que Nolan ne manquera pas d’exploiter au mieux et ce dès son deuxième chapitre, The Dark Knight.

The Dark Knight sortira en 2008 et marquera à plus d’un titre d’une pierre blanche l’histoire de la saga, l’histoire des films de super-héros et même, par extension, celle du cinéma en général.
Dans ce (très) long métrage de plus de 2h30, Christopher Nolan fait la démonstration de tout son savoir-faire en termes de narration, de mise en scène et d’effets spéciaux. Mais attention, rien n’est laissé au hasard et tout sert le propos du film.

The Dark Knight

Premier de toute la saga à ne pas comporter le nom « Batman » dans son titre, The Dark Knight voit la ville de Gotham City gangrénée par un chaos et une anarchie ayant pour nom le Joker, admirablement incarné par Heath Ledger, dont ce sera le dernier rôle puisqu’il décèdera à 28 ans avant la sortie du film, remportant d’ailleurs, à titre posthume, l’Oscar du meilleur second rôle en 2009. Une récompense amplement méritée tant le personnage du Joker crève l’écran. À la différence du Joker dandy de 1989, celui de Nolan se veut moins « propre » et incarne le désir de voir le monde brûler en riant aux éclats. Ce Joker qui parviendra à pousser Batman dans ses retranchements. La scène illustrant le mieux cela est sans doute le face-à-face dans la salle d’interrogatoire où le Cape Crusader ne peut s’empêcher de laisser libre court à une pulsion violente à laquelle il ne nous avait pas habitués jusque-là. Encore une fois, la figure du justicier et celle du Joker seront comme les deux côtés d’une même pièce qui ont, à l’instar du bien et du mal, besoin l’un de l’autre pour exister pleinement.

Dans The Dark Knight, Heath Ledger est le Joker

Il est également question de cette symbolique avec le personnage de Harvey Dent, qui laisse le hasard décider de certains aspects de sa vie à l’aide d’une pièce de monnaie qui ne le quitte pas. Ce procureur incarnant un futur plus propre pour Gotham City et une possibilité éventuelle pour Batman de laisser place à une sorte d’alter ego utilisant la justice et non les poings. Une sorte de chevalier blanc, comme mentionné dans le film. Sauvé par Batman après que celui-ci a été biaisé par le Joker, Harvey Dent, à moitié brûlé vif, deviendra Double-Face. Un personnage qui n’apparaîtra finalement plus dans la saga menée par Nolan.
The Dark Knight se positionnera en véritable chef-d’œuvre et mettra la barre si haut qu’une telle réussite aura probablement du mal à être à nouveau atteinte.

La trilogie de Christopher Nolan se clôture en 2012 avec The Dark Knight Rises. Ce chapitre boucle la boucle grâce à son méchant principal, Bane, montagne de muscles affublées d’un masque doté de câbles qui déforme sa voix et lui permet de vivre. Tom Hardy est impressionnant dans le rôle puisque même avec le visage caché, et donc sans véritable expression, sa stature inquiétante suffit à donner corps au personnage.

The Dark Knight Rises

Après une impressionnante scène d’ouverture, le film se poursuit sur Bruce Wayne en plein questionnement et qui a décidé de laisser de côté son costume de chauve-souris après les déboires vécus dans le volet précédent. Cassé physiquement et dépressif, le milliardaire n’aura d’autre choix que de dépoussiérer sa tenue et reprendre du service lorsque Gotham sera aux mains de Bane et en proie au chaos total. Entre menaces d’explosions atomiques, forces de police bloquées dans les égouts et tribunaux expéditifs de fortune prononçant des peines de mort ou d’exil, la Batmobile (véritable char d’assaut dans les trois films) et son occupant auront fort à faire. Batman bénéficiera d’ailleurs dans cette mission de l’aide ponctuelle d’une Selina Kyle / Catwoman (Anne Hathaway) malheureusement sous-exploitée.

Face-à-face entre Bane et Batman dans The Dark Knight Rises

The Dark Knight Rises referme donc cette admirable série sur un film qui, encore une fois, n’a cure de la durée puisqu’il affiche presque 2h45 au compteur. Mais qu’à cela ne tienne puisque, même si ce dernier épisode est légèrement en deçà de ses deux prédécesseurs, il clôture une série qui mérite sa place au panthéon des meilleures.

Snyder le showman

Habitué des films à grand spectacle, le réalisateur Zack Snyder reprend le flambeau en 2016 mais pas uniquement pour les aventures de Batman. En effet, l’époque du crossover est entamée et c’est Batman v Superman: Dawn of Justice qui verra le jour. Si le mélange des genres en comics est monnaie courante, il est clair qu’il en est autrement au cinéma. Zack Snyder s’offre un terrain de jeu qu’il semble apprécier mais qui peine parfois à convaincre dans cette histoire de confrontation entre le Chevalier Noir et l’Homme d’Acier. Si un premier rapprochement pouvait être vu dans ce projet du fait que le très bon Man of Steel de Snyder, sorti en 2013, avait été écrit par Christopher Nolan, le fait est que le premier choisit l’option grand spectacle pur alors que le second s’en servait pour servir une véritable histoire et ses personnages. Batman v Superman: Dawn of Justice se regarde sans déplaisir comme film du samedi soir mais ne restera pas dans les annales tant le traitement apporté à Batman semble grossier. Le jeu de Ben Affleck n’est pas à jeter, malgré les craintes émises à l’annonce du choix de l’acteur pour endosser la cape, mais un Batman en armure métallique a des difficultés à passer aux yeux des fans.

Batman v Superman

Snyder remettra le couvert en 2017 avec Justice League et poussera le curseur encore plus loin en termes de rencontres entre super-héros puisqu’ici, outre Batman et Superman, le reste de la bande est composée de Flash, Wonder Woman, Aquaman et Cyborg. Ben Affleck rempile dans le rôle du justicier en noir dans un film beaucoup plus porté sur le fantasy et la science-fiction, où il est question de combattre ni plus ni moins que des monstres à tailles démesurées. Un gros fouillis aux antipodes des chefs-d’œuvre proposés auparavant par Nolan.

Justice League

Pour des raisons dramatiques (le suicide de sa fille Autumn), Zack Snyder fut contraint de quitter le projet avant la fin. C’est donc Joss Whedon qui se chargera de retourner certaines scènes à la demande de la production et d’effectuer le montage du film. Lorsque Snyder voit le résultat, celui-ci ne lui convient pas. Le cinéaste décidera alors de proposer sa version du film. Zack Snyder’s Justice League sortira en 2021 dans une version de plus de quatre heures.

Guillaume Triplet

Bonne année 2022

Une année 2022 cinémagique, avec l’équipe du film LA DERNIÈRE TENTATION DES BELGES !

Une année 2022 cinémagique, avec l’équipe du film LA DERNIÈRE TENTATION DES BELGES ! 1920 1080 Jean-Philippe Thiriart

Toute l’équipe de En Cinémascope se joint à l’équipe du film La Dernière Tentation des Belges pour vous souhaiter, à chacune et à chacun, une année 2022… cinémagique !

Ou quand l’actrice Alice Dutoit (alias Alice on the Roof), l’acteur Wim Willaert, le réalisateur Jan Bucquoy et l’illustrateur Laurent Durieux vous souhaitent le meilleur en ce début d’année !

La Dernière Tentation des Belges sort en salles ce 2 février.

Jean-Philippe Thiriart

Crédits
Captation : Nick Hayman
Montage : Nicolas Simoens

L’ENNEMI sort en salles : critique du film et retour sur NOCES, le film précédent de Stephan Streker

L’ENNEMI sort en salles : critique du film et retour sur NOCES, le film précédent de Stephan Streker 800 300 Jean-Philippe Thiriart

Aujourd’hui, sort en salles le nouveau film de Stephan Streker : L’Ennemi. Nous vous proposons, avant une présentation de celui-ci, un retour sur son film précédent : Noces.

Avant L’Ennemi, Streker faisait déjà strike avec un film qui marque… au fer rouge !

Noces

Réalisé par Stephan Streker
Avec Lina El Arabi, Sébastien Houbani, Olivier Gourmet, Zacharie Chasseriaud

Drame
1h38

★★★

Ce n’est pas tous les jours qu’un film dramatique est réalisé par un des visages bien connus du football belge : un certain Stephan Streker. Noces est un film poignant et prenant qui traite d’un sujet aussi délicat que controversé. L’intrigue ne s’arrête jamais, il n’y a aucun temps mort et la mi-temps habituelle n’aura pas lieu.

Le thème est particulièrement grave puisque des dizaines de jeunes filles sont forcées au mariage chaque année sous nos latitudes. Les plaintes pour mariage forcé sont rares car elles mènent au déshonneur d’une famille entière, qui n’osera plus rentrer au pays de peur d’être jugée par toute une communauté. La nécessité d’un tel film est une évidence mais ne faudrait-il pas en faire la promotion dans les milieux concernés par les mariages forcés ?

Streker nous propose également l’avis de musulmans pakistanais sur certaines de nos propres habitudes. Si pas mal de non-musulmans cultivent des stéréotypes sur les musulmans, ces derniers ont parfois, eux-aussi, une vision tronquée de la manière dont les premiers voient les choses. Ces stéréotypes, bien que caricaturaux, peuvent nous servir également à nous remettre en question lorsque cela est nécessaire. Ce film belgo-franco-pakistano-luxembourgeois met aussi en lumière les difficultés de compréhension de l’autre lorsqu’il n’a pas les mêmes coutumes ou la même religion.

Que dire des acteurs ? La jeune actrice Lina El Arabi crève l’écran ! Il est rare de voir un regard aussi profond au cinéma. De plus, jouer la détresse n’est jamais évident et elle le fait avec une justesse remarquable. Sébastien Houbani, son frère à l’écran, doit, lui, jouer un personnage à deux visages. Il le fait d’une manière assez convaincante même si la rupture aurait sans doute pu être encore plus marquée. On notera aussi la qualité des interprétations d’un Olivier Gourmet brillant comme de coutume et de Zacharie Chasseriaud dans le rôle de l’amoureux transi ne comprenant pas une situation qui ne lui est pas expliquée et qui, même si elle l’était, n’aurait sans doute pas de sens pour lui.

Mettons enfin en avant que la mise en scène de Streker est d’une justesse remarquable avec un rouge présent tout au long du film, des sièges du bus aux pétales du mariage.

L’Ennemi : une affaire judiciaire subtilement mise en lumière

L’Ennemi

Réalisé par Stephan Streker
Avec Jérémie Renier, Alma Jodorowsky, Emmanuelle Bercot, Peter Van den Begin

Drame
1h45

★★

L’Ennemi reprend librement les événements tragiques de l’affaire Wesphael et plus précisément les événements qui se sont déroulés à Ostende à la fin du mois d’octobre 2013.

Soupçonné d’avoir assassiné son épouse, Véronique Pirotton, dans un hôtel d’Ostende, Bernard Wesphael est arrêté le 1er novembre 2013 et est placé sous mandat d’arrêt par un juge d’instruction de Bruges. Trois jours après son arrestation, il passe devant la Chambre du conseil, qui décide de le maintenir en détention préventive. Selon Bernard Wesphael, qui a trouvé sa femme inanimée dans la salle de bain, elle se serait suicidée en se plaçant un sac en plastique sur la tête. Véronique Pirotton avait des antécédents en matière de tentatives de suicide.

Le film laisse amplement la place aux interprétations des spectateurs, qui se retrouvent confrontés à leurs propres sentiments et à leurs propres choix. Ils et elles se poseront certainement les mêmes questions que celles que se sont posé les enquêteurs chargés de faire la lumière sur les événements tragiques qui ont mené à la mort de Véronique Pirotton.

Les acteurs ont, comme c’était déjà le cas dans Noces, à nouveau fort à faire dans ce film, qui nous emmène dans un véritable tourbillon. Jérémie Renier joue le rôle de Louis Durieux, personnage multiple inspiré de Bernard Wesphael. De son côté, en parfaite adéquation avec le rôle de l’acteur belge, la jeune Alma Jodorowsky joue son épouse, Maeva Durieux, basée quant à elle, vous l’aurez compris, sur la personne de Véronique Pirotton.

La réussite de ce film tient certainement dans la capacité qu’a eu Streker de faire de cette affaire complexe un film dont la conclusion finale apparait comme moins importante que le déroulement raffiné des événements.

Raphaël Pieters

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

10 DVDs à gagner !

CONCOURS FACEBOOK pour nos 10 ans : 10 DVDs dédicacés à gagner !

CONCOURS FACEBOOK pour nos 10 ans : 10 DVDs dédicacés à gagner ! 2560 1704 Jean-Philippe Thiriart

En Cinémascope a 10 ans !
Et nous avons choisi de fêter cet anniversaire… avec vous !

Dix, c’est aussi le nombre de DVDs dédicacés que nous vous offrons5 x 2 DVDs du dernier film de fiction de la regrettée Marion Hänsel – : un pour vous et un à offrir !

© Rick McPie

La réalisatrice belge nous avait demandé de faire de nos interviews de l’équipe de « En amont du fleuve » au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) (ses acteurs Olivier Gourmet et Sergi López, et elle-même) les bonus de l’édition française du DVD du film.

Pour tenter de gagner 2 DVDs du film dédicacés par Marion Hänsel, rien de plus simple :
1) likez le post présentant cet article sur notre page Facebook
2) taguez @ l’ami(e) que vous souhaitez voir gagner avec vous, en commentaire au post
et
3) partagez le post sur votre page Facebook !

Fin du concours ce mercredi 12 janvier à 23h59, et tirage au sort et annonce du nom des gagnants le jeudi 13 janvier !

Bonne chance !

© Sandrine David

Nos rencontres avec Marion

La réalisatrice belge Marion Hänsel nous quittait le 8 juin 2020.

Nous avions alors choisi de rendre hommage à Marion à notre manière, à travers le montage vidéo de quelques moments complices échangés avec elle au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) et un retour sur nos rencontres avec cette grande dame, son cinéma et ses acteurs.

La dernière fois que nous avons interviewé Marion Hänsel, elle était accompagnée de Caroline D’Hondt, réalisatrice du documentaire Par-delà les nuages : le cinéma de Marion Hänsel. Nous nous sommes penchés avec elles sur le point de départ du documentaire, le cinéma de Marion en quelques mots, et le travail de Marion avec Catherine Deneuve ainsi que sa boîte de production.

Quelques années plus tôt, en 2016, nous rencontrions Marion et ses acteurs Olivier Gourmet et Sergi López pour nous rendre En amont du fleuve. Après avoir découvert nos interviews, la cinéaste nous avait donc demandé si elle pouvait faire de celles-ci les bonus de l’édition française du DVD du film, ce que nous bien sûr accepté avec joie !


Enfin, c’est à travers ses acteurs Marilyne Canto et Olivier Gourmet que nous rencontrions pour la première fois Marion Hänsel, lors d’interviews réalisées autour de son très touchant La Tendresse.

Jean-Philippe Thiriart

Crédits vidéo : des interviews captées par Mazin Mhamad, Lionel Flasse et Simon Van Cauteren, montées par Mourad Khlifi, Lionel Flasse et Simon Van Cauteren, et un hommage monté par Nicolas Simoens

Crédits photo : Rick McPie et Sandrine David

LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN a 20 ans et ressort en salles : critique du film et interview de Jean-Pierre Jeunet

LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN a 20 ans et ressort en salles : critique du film et interview de Jean-Pierre Jeunet 1600 900 Jean-Philippe Thiriart

La critique   ★★★

Réalisé par Jean-Pierre Jeunet
Avec Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Jamel Debbouze, Yolande Moreau, André Dussollier

Romance teintée de comédie
2h

Avons-nous encore besoin de voir ou de lire des contes aujourd’hui ? Il semble que poser la question, c’est aussi y répondre. Alors que Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain sortait sur les écrans au mois d’avril 2001 – il y a 20 ans déjà – le film est resté à la page. Si les DVD, les smartphones et les PC portables ont remplacé les cassettes VHS, les gros téléphones portables sans 4G et les ordinateurs avec tours ; l’être humain, de son côté, a toujours besoin de tendresse et de mystère.

De l’eau a coulé sous le Pont des Arts ou sous le Pont des Invalides depuis le début des années deux mille, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain n’en reste pas moins un film d’actualité. Depuis lors, le cinéma français a réservé d’autres superbes films aux émotifs. On pense à Intouchables ou à Au revoir là-haut pour n’en citer que deux. Mais le film de Jean-Pierre Jeunet reste un incontournable, un chef-d’œuvre cinématographique.
Combien sont aujourd’hui les jeunes qui n’osent pas déclarer leur flamme à un être aimé qui leur ressemble pourtant ? Combien sont-ils ces jeunes dépassés par les événements d’une époque qui nous dépasse toutes et tous ?
Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est un film rempli d’espoir et de rêve pour toutes celles et ceux qui en ont besoin et même pour celles et ceux qui n’en manquent pas mais ne savent pas toujours où continuer à trouver des raisons d’espérer.

Amélie Poulin est une jeune Parisienne de 23 ans qui a grandi isolée des autres enfants car son père lui a diagnostiqué, à tort, une maladie cardiaque qui l’empêche de fréquenter l’école. Sa mère est décédée accidentellement alors qu’Amélie était encore enfant. Mais, alors qu’elle ne croit plus à l’amour, elle découvre en apprenant le décès de la princesse Diana, le 31 août 1997, une boite métallique cachée derrière une plinthe descellée de sa salle de bain. Cette boite est remplie des souvenirs de l’enfant qui occupait jadis cet appartement. Elle se met alors à sa recherche en passant un pacte avec elle-même : si elle le retrouve et qu’il est heureux de retrouver sa boite, elle consacrera sa vie à aider les autres. Sinon, tant pis.

Si ce film vaut bien plus que le détour par son aspect féérique et son histoire attendrissante et parfois amusante, il vaut également pour son casting impressionnant.
Dans le rôle d’Amélie Poulain, Audrey Tautou, révélée en 1999 par Vénus Beauté (Institut) mais qui accéda à une notoriété internationale grâce au film de Jeunet. À ses côtés, Mathieu Kassovitz, qui reçut le César du Meilleur espoir masculin en 1995 pour sa performance dans Regarde les hommes tomber. À leurs côtés, le jeune Jamel Debbouze, Yolande Moreau, Isabelle Nanty et le regretté Serge Merlin complètent un casting de haut vol.

Mais que faire en attendant de découvrir cette version numérisée, me direz-vous ? Amélie Poulain a sans doute la réponse : « En attendant, mieux vaut se consacrer aux autres qu’à un nain de jardin. »

Raphaël Pieters

L’interview du réalisateur

En 2014, Jean-Pierre Jeunet était présent au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF) pour y donner une masterclass – « L’élixir de Jeunet » – et être adoubé Chevalier de l’Ordre du Corbeau. Nous l’avions interviewé, conjointement avec Loïc Smars, fondateur et rédacteur-en-chef du Suricate Magazine.

Vous venez d’être prévenu que vous allez être fait Chevalier de l’Ordre du Corbeau ce soir. Qu’est-ce que cela représente à vos yeux ?

Je panique parce que je n’ai encore rien préparé. Il faut trouver quelque chose à dire et je n’ai pas beaucoup de temps pour trouver une connerie à faire.

Avez-vous déjà un peu entendu parler de l’ambiance particulière du BIFFF ? Pourquoi avoir accepté une masterclass alors que vous n’êtes pas en tournée promotionnelle ?

Déjà, le BIFFF, je ne connais pas. Pour les masterclass, je viens d’en faire par exemple six au Brésil. Je fais ça volontiers car j’aime le contact avec le public. Autant ça m’emmerde de parler avec des journalistes comme vous, autant avec le public, c’est sympa.
Au Brésil, c’était incroyable, d’une densité, d’une chaleur… Cela durait deux heures ; j’en sortais rincé. Ils étaient passionnés et posaient des questions originales. On refusait des centaines de personnes à l’entrée.

Vous avez un énorme public au Brésil ?

C’était surtout des jeunes, des étudiants. Il y a aussi le côté un peu midinettes de celles qui adorent Amélie. Il y en a une qui est tombée dans les pommes, une qui a un tatouage Amélie, etc. Je ne pouvais pas le croire. Il y en a une, j’ai signé de mon nom et le soir même elle se le faisait tatouer et m’envoyait la photo. Ça fout un peu les jetons. Il y a même aussi une boutique « Je m’appelle Amélie ».

Vous êtes fidèle à vos comédiens et avez ainsi tourné à plusieurs reprises avec Rufus, Ticky Holgado, André Dussollier ou encore Jean-Claude Dreyfus. Mais votre acteur fétiche, c’est Dominique Pinon. Qu’est-ce que cet acteur a de magique à vos yeux ?

Tout d’abord, il me surprend à chaque fois donc je ne vois pas pourquoi je m’en passerais ! Ensuite, il a vraiment une tronche ! C’est un peu pour moi le comédien parfait. Au tout début de ma carrière, j’aurais dû tourner un téléfilm avec lui et ça ne s’est pas fait pour des questions idiotes. Ensuite, il a été dans mon premier court métrage et après, c’est devenu une tradition de l’avoir à chaque fois avec moi.

Vous vous entourez aussi souvent des mêmes personnes, tant au niveau de l’équipe technique que des comédiens. Vous avez aussi d’autres fidèles qui sont des « tronches », comme Rufus ou Ron Perlman.

En fait, j’aurais adoré travailler avec les acteurs d’après-guerre. Je suis un grand fan de Prévert, Julien Carette, Louis Jouvet… Et mes acteurs fétiches sont les équivalents de ceux-là. De temps en temps, j’en trouve des nouveaux mais je reprends avec plaisir les mêmes.

Et c’est un besoin de s’entourer de sa famille de cinéma ?

C’est plus pour l’équipe artistique. Mais malgré que j’aie travaillé avec plusieurs directeurs photos, il y a une continuité dans la lumière, ce qui prouve bien que c’est moi qui donne la direction.

Vous avez dit dans une interview que T.S. Spivet, c’est vous. Est-ce que vous amenez toujours un peu de vous dans un des personnages de chacun de vos films ?

T.S. Spivet, c’est effectivement un peu moi. Il fait ses dessins dans sa ferme comme moi dans ma maison à la campagne. Il gagne un prix comme j’en gagne parfois. Bon, il prend le train et moi plutôt l’avion. (il rit)

Votre rêve serait de retourner à la campagne, hors du circuit médiatique ?

Je suis très bien en Provence dans ma maison au milieu de la campagne.

L’animation et les dessins, ce sont vos premières amours. Vous avez envie d’y retourner ?

Le réalisateur français qui a gagné l’Oscar cette année pour Monsieur Hublot, un court métrage, m’a contacté pour travailler ensemble. Alors on va voir ce que l’on peut faire tous les deux.

D’ailleurs, Monsieur Hublot est inspiré d’un personnage belge fait par un sculpteur belge.

Je ne savais pas !

L’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet est votre deuxième expérience américaine…

Attention ! C’est un faux film américain, c’est un film franco-canadien, supposé être américain mais tourné au Canada. D’ailleurs, le seul Américain, c’est l’acteur qui joue le gamin. Je n’ai jamais mis les pieds aux USA pendant le tournage. Pendant les repérages à la frontière, j’ai juste mis le pied de l’autre côté. Tout cela m’a permis de garder une certaine liberté, d’avoir le final cut.

Justement, le final cut, vous l’avez eu sur Alien, la résurrection ?

Évidemment que non ! Mais je me suis débrouillé et me suis bien entendu avec eux.
Aux visions-tests, on a appris, par indiscrétion, que dans la salle il y avait le monteur de Star Wars. Donc ils engagent des monteurs à la retraite qui voient tout de suite ce qui ne va pas. Nous, on était flatté et on a essayé de le joindre et il a été assez embêté qu’on ait tenté de le contacter. Mais parfois, les remarques étaient intelligentes. On a aussi appris à écouter.

Et avec Sigourney Weaver, avez-vous appris quelque chose ?

Elle m’a dit une phrase que j’ai retenue : « Les problèmes d’argent, tu en entends parler pour le moment. Mais tout ce que tu fais est gravé pour l’éternité. » Et donc cela voulait dire : « Ne te laisse pas faire par les questions d’argent car si tu bâcles ou que tu ne fais pas bien les choses, tu le regretteras toute ta vie car ce sera dans le film. »
J’avais donc une grande liberté artistique mais une grande pression financière. Alors qu’à la base, je pensais le contraire.

Il y a une grande nouveauté dans votre dernier film, c’est l’utilisation de la 3D. Quel est votre sentiment par rapport à cette technique ?

C’est la dernière fois car c’est en train de décliner. Ils ne font plus que de mauvaises conversions, d’ailleurs la société de Cameron ne travaille quasi plus qu’en Chine. Plus personne ne tourne en 3D alors que cela coûte moins cher que la conversion.

Mais pour ce film, vous êtes content du résultat ?

Oui ! Artistiquement, j’adore. Le problème c’est que c’est compliqué et mal montré dans les salles. L’idéal, ce sont les lunettes actives et maintenant ils préfèrent les passives, car les autres coûtent chères à l’entretien et qu’ils les vendent. Mais c’est de la merde.
Pourtant, pour Spivet, on a fait un truc nickel : on a tout corrigé en postproduction. Le moindre défaut. Parce que quand ça tape dans un seul œil, c’est là où le cerveau explose, que c’est pénible.

Depuis 2001 et Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, vous êtes aussi le producteur de vos films. En quoi ce rôle consiste-t-il exactement pour vous et quel plus cela apporte-t-il dans la concrétisation de vos projets ?

Quelque part, j’ai toujours été producteur. Je me suis toujours investi dans tous les domaines, y compris la fabrication. Seulement avant, ça ne me rapportait rien et maintenant je vois revenir de l’argent quand le film en gagne.

Dans plusieurs de vos films, les héros ont des petites lubies, des petits moments de bonheur, aiment des petits riens qui embellissent l’existence. Pourquoi ? Est-ce que cela vient de vous ?

Parce que si tu regardes les infos à la télé, tu te jettes par la fenêtre ! La vie et le monde ne sont pas toujours très drôles. On va donc se réfugier, trouver du bonheur dans ces petites choses, un rayon de soleil, etc.
Sinon, tout cela c’est aussi un jeu que j’avais pratiqué dans Foutaises, un de mes courts métrages, que je suppose vous n’avez pas vu. Regardez-le. Sur YouTube, il y en a au moins 15 copies. Le jeu, c’était « J’aime » / « J’aime pas ». C’est d’ailleurs Dominique Pinon qui récite. Ensuite, c’est un ami, Jean-Jacques Zilbermann (NdA : le réalisateur du film Les Fautes d’orthographe en 2004) qui m’a demandé pourquoi je ne présentais pas mes personnages d’Amélie Poulain comme je l’avais fait avec Foutaises. C’est un très bon conseil vu que peu de monde avait vu mon court.

Pour terminer, avez-vous déjà des projets dont vous pouvez nous parler ?

On en est aux prémices, donc je ne peux pas en dire grand-chose. On a quelque chose qui tourne autour de l’intelligence artificielle mais je ne peux pas en dire plus.

Jean-Philippe Thiriart

Crédits photos de l’interview : Simon Van Cauteren pour En Cinémascope

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

L'issue sera la même pour tout le monde

CRUELLE EST LA NUIT : critiques du film et du DVD et interview du réalisateur

CRUELLE EST LA NUIT : critiques du film et du DVD et interview du réalisateur 800 533 Guillaume Triplet

Réalisé par Alan Deprez
Avec Kevin Dudjasienski, Bertrand Leplae, Arnaud Bronsart, Pascal Gruselle, Sabrina Sweet, Evangelyn Sougen, Michel Angély, Pierre Nisse, Damien Marchal

Une sortie DVD Chriskepolis et Zeno Pictures
Thriller érotico nihiliste
21 minutes

Récemment sélectionné dans deux festivals turcs (The Gladiator Film Festival et les Golden Wheat Awards) – il sera de ce fait diffusé à Istanbul le 31 décembre prochain -, le court métrage d’Alan Deprez Cruelle est la nuit sera aussi projeté ce 17 décembre à Bourg-en-Bresse dans le cadre du ZOOM et d’une programmation de courts-métrages trash.

En 2020, le film bénéficiait d’une sortie DVD digne de ce nom via les excellentes boîtes Chriskepolis et Zeno Pictures. L’occasion nous est donnée ici de revenir sur cette bande qui s’était déjà fait attendre en 2017 tant sa conception et sa sortie furent repoussées.

Une affiche signée Gilles Vranckx

Le film   ★★★

Retour donc sur un film qui met en avant la créativité dont la Belgique peut encore déborder et l’indépendance de ses créateurs, pour qui le mot « limite » n’a peut-être pas le même sens que pour le commun des mortels.
Un condensé de violence, de poitrines opulentes, de révolte et d’humour noir. Voilà ce qui pourrait donner une idée somme toute exhaustive de la vingtaine de minutes que représente Cruelle est la nuit.

Un soir, Kel, Arno et Sid du collectif Aetna préparent batte de base-ball et flingues pour une expédition punitive. Le but : éliminer le politicien véreux Hein Stavros. Mais à leur arrivée, les trois « activistes » se retrouvent en pleine partie fine, ce qui va quelque peu les contraindre à adapter leur plan.
Dotée de personnages singuliers, Cruelle est la nuit est le genre de bande soignée tant au niveau du scénario que de la réalisation. En effet, si le concept de base surfe sur quelques poncifs presque obligatoires du genre, il n’en est pas moins original. Loin de l’histoire basique du cassage de gueules simpliste, le contexte sociopolitique a son rôle à jouer et la morale de la vanité de la révolte apporte une symbolique réfléchie sans non plus tomber dans l’intello.

Le film doit tenir le spectateur jusqu’au bout et ses concepteurs l’ont parfaitement assimilé, au point d’offrir son lot de démonstration des plaisirs de la chair et d’exagération des scènes gores. À ce propos, on ne peut que saluer les qualités formelles de la réalisation, qui opte pour des cadrages et une photographie apportant de la classe dans le trash, comme si Gaspar Noé ou Jess Franco étaient passés par là pour chacun apporter leur petite touche. La scène de l’orgie en est une preuve, au même titre que celle de la fellation avortée par éventration.
Un des autres points forts est sans nulle doute la musique, qui participe à l’assombrissement du propos et à la tension du film grâce à des rythmiques industrielles du meilleur effet.

Le réalisateur Alan Deprez s’est fait plaisir en mêlant ses différentes influences esthétiques et cinématographiques, tout en insufflant une vision pour le moins nihiliste de l’existence. Mais il évite la complainte en choisissant un traitement des personnages qui permet de jouer subtilement la carte de l’ambiguïté tant le spectateur n’est pas pris par la main et guidé par une sorte de manichéisme démagogique. Life is a bitch.


Le DVD et ses bonus   ★★★

En termes de suppléments, Zeno Pictures propose quelque chose de sobre mais bougrement instructif.
Si le making of de 23 minutes décortique la conception des scènes phares du film, il laisse également la parole à certains des acteurs et met en avant l’incroyable travail de l’équipe technique, du cadreur à la maquilleuse, pour percer quelques-uns des secrets de fabrication du court métrage.
On déplorera par contre l’absence d’intervention de la part du réalisateur, dont la vision artistique aurait sans doute été digne d’intérêt. Nous vous renvoyons pour cela à l’interview d’Alan Deprez, réalisée au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF) et que vous retrouverez ci-dessous.

La suite se compose de deux interviews réalisées lors du Retro Wizard Day 2018. Des interviews très intéressantes puisqu’elles donnent la parole aux encyclopédies vivantes que sont David Didelot (Vidéotopsie) et Didier Lefèvre (Médusa Fanzine) d’une part, et à Damien Granger (ex-rédac chef de Mad Movies et auteur des divers volumes de B-Movie Posters et de Horror Porn : La fesse cachée du cinéma d’exploitation), d’autre part, qui apportent chacun leur analyse éclairée du film. L’occasion de mettre en évidence les multiples références, volontaires ou involontaires, que contient Cruelle est la nuit ou encore sa portée symbolique.

Enfin, le tout est accompagné d’un petit livret de 20 pages présenté comme un manifeste dans lequel l’éminent journaliste Pascal Françaix (La Septième Obsession, entre autres, et l’auteur de Torture Porn : L’horreur postmoderne, Teen Horror : De Scream à It Follows et Camp ! vol. 1 : Horreur et Exploitation) décortique à son tour le film d’Alan Deprez. Notez que le texte de ce livret, rédigé en français, est aussi disponible en anglais. Les anglophones n’ont décidément pas été oubliés puisque des sous-titres anglais sont également disponibles pour les bonus du DVD.
Quant au film en lui-même, il peut être visionné avec des sous-titres optionnels anglais, néerlandais, français (sourds et malentendants), allemands, espagnols et italiens.

Le DVD est disponible à l’achat sur le site de Zeno Pictures.

Guillaume Triplet

L’interview du réalisateur

Rencontré à Bruxelles à l’occasion du BIFFF 2017, Alan Deprez a décortiqué avec nous la conception de son film et les enjeux de celui-ci. Mais ce fut également l’occasion de simplement parler cinéma et d’entendre son avis sur la situation. Entre coups de gueule, coups de cœur et débat sur le genre, voici l’entretien pour le moins conséquent que nous avons eu avec lui.

Crédit photo : Charles Six

Cruelle est la nuit est un court métrage qui renferme de nombreux concepts : une espèce de révolte politique qui part ensuite dans tous les sens (sado-masochisme, violence graphique…). Peux-tu nous expliquer ton idée de départ ?
C’est assez compliqué en fait. Je ne voulais surtout pas faire une œuvre hyper référentielle ou trop consciente de ses références, parce que c’est quelque chose qui m’insupporte de plus en plus. Je ne supporte plus tous ces « jeunes » réalisateurs d’une première œuvre ou de premières œuvres qui, constamment, font des clins d’œil à des œuvres ayant marqué leur cinéphilie et qui se complaisent, d’une certaine façon, dans cet art de la référence. J’en ai un peu marre du recyclage. Curieusement, je ne sais plus d’où m’est réellement venue cette idée de personnages étrangers à un milieu et qui débarquent dans une partie fine. La post-production a aussi été interminable car au départ, le film devait être prêt pour 2016. Mais comme à chaque fois, je veux faire simple et, finalement, je fais plus compliqué ! Je m’étais dit qu’on allait faire un huis clos pour ne pas être tributaire des extérieurs. La première vision que j’ai eue était ces mecs qui partent en mission dans le but d’assassiner une personnalité influente et sont un peu pris au dépourvu puisqu’ils débarquent en pleine partouze. Ensuite, la nature très noire et nihiliste du film existe car, en cours d’écriture, j’ai perdu deux personnes qui comptaient énormément pour moi, à savoir ma grand-mère et mon cousin ; ce qui m’a fait traverser une période assez douloureuse. D’ailleurs, Cruelle est la nuit leur est dédié. Il y a donc une dimension très personnelle dans le projet et l’humour qu’on peut retrouver dans le film n’est arrivé que plus tard. Il y a un peu de moi dans chaque personnage car, même si je me considère comme apolitique, j’ai mes idées et c’est clair que parfois, je pense qu’il est préférable de tout « brûler » pour repartir sur des bases saines. C’est ce que le personnage de Kel fait dans le film, même s’il s’inscrit dans une démarche tout autre.

Tu parles d’une post-production qui a été tirée en longueur. Dans quelle mesure cela a-t-il joué sur le retard du projet ?

Il y a plusieurs choses qui sont entrées en ligne de compte. Il faut savoir qu’au départ, le court métrage devait être réalisé pour le « CollectIFFF 2 » (NdA : le CollectIFFF est un groupe de réalisateurs de courts métrages dont les œuvres sont soutenues par le BIFFF et diffusées lors d’une édition précise du festival – le premier CollectIFFF a eu lieu en 2012). On a tourné trop tard par rapport à la diffusion prévue pour le BIFFF 2016 et on ne s’en est rendu compte qu’en cours de tournage. Par ailleurs, le monteur ne pouvait pas débloquer tout son temps pour travailler sur le film et en assimiler toute la matière dans un délai si court. La post-production a duré presque dix mois. On a donc monté une bande-annonce, diffusée dans deux festivals mais pas au BIFFF. La projeter au BIFFF aurait pu s’avérer étrange par rapport aux autres films du CollectIFFF, dûment finalisés. C’est vrai qu’on a pris le temps de bien faire les choses, en se disant qu’on avait entre les mains un film très atypique et singulier, à plus forte raison au sein du paysage cinématographique franco-belge et dans le domaine du court métrage. Pour nous, c’était une grande délivrance lorsqu’on a assisté à la première privée du film le 1er novembre 2016 au Cinéma Galeries, à Bruxelles.

Parle-nous un peu de la direction photo. Parce que ton court métrage comporte, comme on le disait, une dimension nihiliste complètement assumée, mais son esthétique est très léchée. C’est sombre mais soigné. Quels étaient tes choix artistiques à ce niveau-là ?

Tout d’abord, cela fait un certain temps que je travaille avec le même chef op, Nicolaos Zafiriou. C’est une vraie collaboration artistique et je ne serais rien sans lui. Si je fais le compte, je crois qu’on a dû bosser sur une trentaine de projets ensemble, même si beaucoup d’entre eux n’ont pas abouti. Il a éclairé mes trois courts métrages, ainsi que trois ou quatre clips, plus d’autres choses. Il faut savoir que je suis quelqu’un qui accorde beaucoup d’importance à l’esthétisme, même parfois un peu plus qu’au scénario ou au récit en lui-même. Certes, le scénario est fondamental, mais en tant que spectateur, je peux être séduit par un film qui aurait des carences scénaristiques, mais qui, visuellement, serait sublime. Par exemple, si on s’attarde sur Suspiria de Dario Argento, ce n’est pas un modèle de construction scénaristique : ce qui fait qu’on reste accroché est en grande partie dû à la direction photo de Luciano Tovoli. Je fonctionne comme ça et c’est ainsi qu’on a fonctionné sur Cruelle est la nuit. « Zaf » (Nicolaos Zafiriou) et moi avons défini une esthétique. Nous voulions une caméra qui avait une bonne sensibilité pour le grain de la peau. Pour parler un peu technique, nous avions opté pour une caméra assez rare : l’Ikonoskop, une caméra suédoise dont la licence a été rachetée par une boîte belge, qui, par la suite, a directement fait faillite. On a vite compris pourquoi (rires), puisqu’elle était très « prototype » et nous a créé les pires emmerdes sur le tournage. Elle surchauffait tout le temps et causait parfois pas mal de problèmes au niveau de l’enregistrement des rushes (on s’est retrouvés avec des rushes inutilisables, altérés par de fines trames rappelant l’image d’une VHS usée). Mais on l’avait choisie parce que c’était une des caméras qui imitait le mieux le grain du 16 mm. On avait aussi deux autres caméras : une pour les plans un peu plus « clippés » et tournés de nuit, l’autre destinée à servir de deuxième caméra (NdA : respectivement une Sony Alpha 7S et une Pocket Black Magic, qui « matche » plutôt bien avec l’image de l’Ikonoskop). Il est vrai que pour nous, l’esthétique était super importante.


Tu mentionnais ton choix de caméra qui rendait bien le grain de la peau et tu nous parlais de Suspiria… On aurait envie de faire un parallèle avec David Lynch (NdA : Alan nous avait déjà expliqué auparavant être un grand fan de ce réalisateur). Est-ce un réalisateur qui t’influence dans tes créations ?

Peut-être bien. En tout cas il a eu un aspect fondateur pour moi parce qu’à la base, je suis un simple fan, mais c’est en découvrant Blue Velvet que j’ai voulu devenir réalisateur. Pour moi, il y a vraiment eu un avant et un après Blue Velvet. Par contre, je suis moins fan de ce qu’il a fait « récemment », comme ses travaux vidéo ou encore Inland Empire (son dernier long-métrage, datant de 2006), qui m’a un peu horripilé. David Lynch est un réalisateur purement « sensoriel », qui sait faire fi de toutes les conventions scénaristiques encore de mises dans le métier, afin d’emmener le spectateur vers l’émotion pure.

Et le giallo ? C’est un style qui t’a aussi marqué dans ton parcours cinématographique ?

J’aime beaucoup les gialli, même si je trouve qu’en ce moment, certains éditeurs en sortent un peu trop. Il y a donc une certaine overdose de gialli et c’est un peu dommage car, par exemple, pour parler d’œuvres bis, il n’y a pas que le cinéma bis italien, mais des « films d’exploitation » partout dans le monde. Il y a certains films bis grecs ou encore indonésiens qui ne sont pas exploités chez nous et heureusement qu’il y a des éditeurs comme Mondo Macabro aux États-Unis pour s’occuper de ça. Mais pour en revenir aux gialli, c’est clair que j’aime beaucoup la sensualité qui s’en dégage. Leur côté sensuel et charnel aussi, puisque c’est quelque chose qui me touche. Il y a pas mal de gialli que j’aime beaucoup comme Mais qu’avez-vous fait à Solange ?, qui est génial, ou encore certains films de Sergio Martino avec Edwige Fenech, qui est une actrice magnifique dont je tombe amoureux à chaque film (rires). Toutes les Couleurs du Vice n’est pas forcément cité par tout le monde mais il est génial, tout comme Le Venin de la Peur de Lucio Fulci, qui se situe presque par moments entre le giallo et le film psychédélique. Mais il y en a tellement… J’aime aussi beaucoup les gialli prenant racine à Venise, comme Terreur sur la Lagune. Ils ont vraiment capté cette atmosphère de décrépitude propre à Venise, décelable par ailleurs dans La Clé de Tinto Brass, un cinéaste que j’adore. De ce réalisateur, j’apprécie beaucoup Caligula, même si le film a été truffé de plans hards retournés par le grand patron de Penthouse à l’époque, Bob Guccione. Il est évident que je suis sensible à la « recherche de sensualité » qui caractérise ce genre de films. Je pense que c’est le genre de bandes qui nécessite de savoir se déconnecter et de ne pas intellectualiser ce qu’on voit pour l’apprécier pleinement. La symbolique est très forte aussi et ça, c’est quelque chose qui me parle. Il y en a d’ailleurs beaucoup dans mes films.

Justement, le spectateur peut pointer différentes symboliques dans Cruelle est la nuit. Comme au niveau esthétique, tu as des influences qui se ressentent clairement. Si cette esthétique va de pair avec la symbolique, peux-tu nous expliquer celle-ci par rapport à ton court métrage ?

Ce qui serait intéressant serait que toi, tu me dises ce que tu y as décelé.

La première chose qui m’a frappé dans ton film au niveau symbolique, c’est le nihilisme. Il est très présent. Ensuite, il y a des phrases qui sont énoncées par tes personnages comme, par exemple, celle qu’on pouvait déjà entendre dans le trailer de Cruelle est la nuit qui est « Au final, l’issue sera la même pour tout le monde. » Elle montre bien la vanité de la révolte. On se révolte, OK, mais finalement, comme le fait comprendre ton personnage principal, c’est un peu comme pisser dans un violon…

C’est marrant, car j’en parlais il n’y a pas si longtemps que ça avec Pascal Françaix, journaliste et essayiste, qui, l’an dernier, a écrit un brillant ouvrage sur le torture porn (Torture porn : L’horreur postmoderne). Nous étions invités dans la même émission de radio. Il m’a soufflé que, pour lui, Cruelle est la nuit est un film postmoderne qui a su digérer pas mal d’éléments d’œuvres antérieures et dans lequel, surtout, on ne prenait parti pour aucun camp. Il y a une sorte de « pourriture généralisée ». Dans le camp des assaillants, il y a un discours très marqué, mais leur idéologie n’est pas plus défendable que les petits intérêts de l’homme politique à qui ils en veulent, qui est complètement véreux et organise des parties fines chez lui. À côté de ça, la dimension nihiliste, comme on l’a dit plus tôt, me touchait beaucoup. Je pense qu’on est dans une époque un peu artificielle, un peu « fake » et surconnectée, où les gens ont perdu le contact avec les choses et se sentent obligés de donner un avis sur tout – d’avoir tout vu, tout lu, tout entendu, alors que c’est impossible. Je crois qu’il faut savoir se « reconnecter » aux choses. Nous sommes allés trop loin… Nous nous trouvons dans une époque complètement désenchantée, que l’on traverse avec la peur au ventre, provoquée notamment par les divers actes terroristes qui ont émaillé ces dernières années. J’espère que les gens qui verront notre film pourront y déceler cela, parce que c’est clairement sur cette base qu’il a été conçu : cette peur et cette façon d’insuffler la terreur dans l’inconscient des gens. Maintenant, des personnes redoutent de sortir de chez elles, d’aller à des concerts, de prendre les transports en commun…. Le film renvoie un peu en creux cette image-là.

Sans tomber dans la métaphysique, est-ce que tu voulais faire émerger une espèce de réflexion sur l’existence à travers Cruelle est la nuit et peut-être faire réfléchir les gens sur le fait qu’il existe des valeurs auxquelles on peut encore se raccrocher ?

Il y a pas mal de choses qui sont dénoncées dans le film. Si on s’attarde sur Kel (incarné avec intensité par Kevin Dudjasienski), il s’agit d’un personnage qui est complètement déconnecté de la réalité et qui a perdu le contact avec son prochain. Pour lui, les personnes qui l’accompagnent ne sont même pas des frères d’armes, mais simplement de la chair à canon. Ça vient renforcer cet angle nihiliste car quand on regarde l’itinéraire de Kel, c’est une sorte d’itinéraire vers un suicide… C’est quelqu’un qui veut mourir mais ne veut pas « mourir de sa propre mort ». Il se construit donc une espèce de quête presque mystique avec pour apothéose l’assassinat d’un homme politique (Stavros, joué par Pascal Gruselle). C’est une manière de planter le couteau dans le dos de toute cette petite bourgeoisie, bien que ça n’ait plus beaucoup de sens… C’est aussi pour ça que dans le film, Stavros lui affirme que la lutte des classes est terminée. À l’heure actuelle, on est bien au-delà de ça. Cette guerre, on l’a perdue depuis longtemps. Nous vivons maintenant dans un monde où tout est contrôlé par tous ces grands conglomérats et les multinationales. À titre d’exemple, toute cette mode du véganisme part d’une bonne intention, mais même si on paie bien cher nos produits bio – ce que je fais souvent -, le sol est tout de même pollué et la plupart du temps, on ne sait même pas lorsqu’on ingère des OGM ou d’autres produits nocifs. Sinon, pour en revenir au film, il y a surtout un côté très désenchanté. Pour traiter d’un autre personnage, Sid (Bertrand Leplae), est simplement quant à lui dans une quête de virilité : c’est un faux dur et il surjoue ce côté « brut ». Sa batte de baseball est un peu l’extension de sa virilité. Et a contrario, le personnage d’Arnaud (Arnaud Bronsart) est un peu une façon de stigmatiser une partie de cette jeune génération qui ne partage plus les mêmes valeurs que nous. De vrais « branleurs » ! (rires) Ça m’insupporte, ces nouvelles générations qui n’ont plus le respect des aînés, ne prennent même plus la peine de prouver des choses par leur travail ou par leurs actes, et qui pensent que tout leur est acquis. Le personnage d’Arnaud représente quelqu’un dont la vie est un peu vide de sens et qui tente de lui en donner un en participant à cette mission, mais il y va un peu « comme s’il allait à Walibi » (NdA : Walibi est un parc d’attraction belge). C’est Arnaud qui m’avait soufflé ça durant une lecture du scénario. Il y va pour les sensations fortes mais toute la dimension politique insufflée par le personnage de Kel lui est complètement étrangère. Il y a des tas de choses dans Cruelle est la nuit. Ce n’est absolument pas humble de dire cela, alors que pour moi l’humilité est hyper importante, mais j’avais envie de donner un grand coup dans la fourmilière avec ce film car, comme je te le disais plus tôt, j’en ai vraiment marre de toute cette mouvance de courts métrages qui ont une approche condescendante vis-à-vis du genre, qui se complaisent dans les clins d’œil et uniquement dans ceux-ci. Ils balancent simplement toutes leurs références à l’écran et voilà…

C’est limite parodique pour toi ?

Oui, c’est parodique et j’en ai un peu ma claque. J’en ai vraiment marre de ce côté ricaneur où on adresse systématiquement des clins d’œil aux spectateurs. Par exemple, je n’ai rien contre les films de la Troma et j’en apprécie même certains, mais je suis passé à autre chose. Comme je te l’ai dit plus tôt, il y a des évènements intimes qui m’ont fait changer. Mes envies de cinéma ne sont plus les mêmes qu’avant. J’ai envie de tenter une greffe de différents genres dans mes courts et qu’il y ait des variations « tonales », comme passer d’une facette crue, charnelle ou sexualisée à un aspect plus drôle. Qu’il y ait vraiment un melting-pot de tout cela.

Crédit photo : Ketchup Book

Mais, en fait, ce que tu expliques là, ce sont différents côtés du cinéma dont tu es issu, quand on sait ce que tu fais. Quand on te lit dans la presse (CinémagFantastique, Mad Movies…), on perçoit ta culture cinéma en général, mais aussi et surtout celle qui concerne le cinéma de genre, le cinéma asiatique ou encore le cinéma porno. Tu avais envie de mélanger un peu tout cela avec Cruelle est la nuit ?

Oui, voilà. Et de nouveau, ça va paraître con ce que je vais dire, mais insérer des scènes de sexe non simulé dans un format de court métrage, je n’ai pas l’impression que ça ait déjà été fait ou du moins, pas de cette façon-là. Désolé, mais il fallait des couilles pour oser le faire… Je trouvais ça interpellant. Le fait aussi de réunir un casting hétéroclite, où on associe une ex-star du porno (la ravissante Sabrina Sweet) avec des acteurs « traditionnels » comme Damien Marchal ou Bertrand Leplae, qui se retrouvent au beau milieu de vrais libertins, donc d’actes sexuels non simulés. Ça m’intéressait beaucoup. J’aimais beaucoup également le fait d’y introduire un acteur comme Pierre Nisse, qui a énormément de génie dans sa folie. Pour l’équipe technique, c’était assez nouveau car si, pour ma part, j’avais déjà eu l’occasion de tourner des reportages sur des plateaux de John B. Root (réalisateur œuvrant dans le porno) pour Hot Vidéo TV, la grande majorité des techniciens de Cruelle est la nuit n’avaient jamais cadré, éclairé ou maquillé des acteurs impliqués dans des séquences « hard ». Ça leur a sans doute fait bizarre au début, mais très vite, leur professionnalisme a repris le dessus. Parfois, c’était même étrange pour moi parce que même si j’avais déjà filmé des reportages de ce genre, ce n’était jamais sur mes propres plateaux. Donc là, je devais choisir les positions des figurants (libertins), composer les couples… C’était particulier d’être à la lisière du hard. Cela dit, j’insiste sur le fait que ce n’est pas un porno et que ça reste un film de genre. Beaucoup de gens ne veulent pas le comprendre et disent que c’est du porno, souvent sans avoir visionné le film. Il faut dire que, depuis que j’ai été salarié chez Hot Vidéo (ça fait bientôt 4 ans que cette époque est révolue), il y a encore pas mal de personnes qui disent que je fais du porno ou que je suis dans le milieu. Mais c’est totalement faux, même si j’ai pu écrire des articles sur ce sujet. Cruelle est la nuit n’est pas pornographique. C’est un court métrage de genre avec du sexe non simulé comme il pourrait y en avoir dans les films de Gaspar Noé, par exemple.

Est-ce qu’avec Cruelle est la nuit, vous avez pu faire passer tout ce que vous vouliez, ton équipe et toi ? Avez-vous été totalement libres en termes de création ou y a-t-il encore eu des limites qu’on vous aurait imposées ?

Pas vraiment. Les limites qu’on a pu rencontrer sont les limites de chaque court métrage. C’est-à-dire des limites budgétaires, puisque le film n’a pas un budget faramineux et que les inscriptions en festival continuent de coûter très cher. Il y avait aussi des limites de temps parce que ce qu’on a tourné en cinq jours aurait normalement dû nous en prendre dix. On subissait un rythme infernal, surtout concernant les trois jours pendant lesquels on a tourné dans la villa. On tournait tous les jours de 9 heures du matin jusqu’à facilement 3 ou 4 heures du matin le jour suivant… Au bout d’un moment, l’équipe technique avait envie de me tuer. Il a fallu nous forcer – le cadreur (Benjamin Liberda), le chef op (Nicolaos Zafiriou) et moi – à descendre en régie pour nous alimenter, parce qu’on ne mangeait même plus. On courait après notre vision, plus précisément après la mienne, car toute l’équipe était derrière moi. De toute évidence, il y a toujours un peu de frustration, mais il s’agit certainement, de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, du résultat le plus fidèle par rapport à ce que j’avais couché sur papier. Cela étant, on a quand même dû laisser tomber une quarantaine ou une cinquantaine de plans ; ce qui nous a parfois compliqué la vie au montage. Ça ne me déplait pas du tout mais arrivés à un certain stade, pour certaines scènes, nous avons quasiment été forcés de partir sur quelque chose d’encore plus conceptuel ou de plus minimaliste.

Pour clôturer l’entretien, tu peux nous dire un peu quelles sont globalement les réactions et les échos que tu as déjà pu avoir par rapport à Cruelle est la nuit, puisqu’il a déjà été projeté à différents endroits et festivals ?

Globalement, les échos sont positifs ou même parfois très bons.

S’il y avait une critique négative que tu devais retenir, ce serait laquelle ?

C’est assez difficile à dire. Je suis prêt à prendre en compte n’importe quelle remarque à partir du moment où elle est constructive. Je peux comprendre que certaines personnes aient un problème avec notre film, avec ses plans explicites ou d’autres éléments subversifs. Tu vois, par exemple, une personne m’a reproché que pour elle, Cruelle est la nuit était « gratuit ». Alors qu’au final, tu te rends compte que cette personne n’avait pas du tout fait gaffe aux dialogues ou surtout, aux voix off en début de film. Sans cela, il n’a plus de sens… Ce n’est pas un film mainstream ni un grand film fédérateur, mais il n’a pas été pensé pour être tiède : soit tu y adhères complètement, soit tu le rejettes en bloc. Tant qu’il ne laisse pas les gens de marbre !

Propos recueillis par Guillaume Triplet

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

ADORATION, ce soir en TV et sur Auvio : interviews de l’équipe du film et retour sur la trilogie ardennaise de Fabrice Du Welz

ADORATION, ce soir en TV et sur Auvio : interviews de l’équipe du film et retour sur la trilogie ardennaise de Fabrice Du Welz 1020 681 Jean-Philippe Thiriart

Le dernier film sorti en salles de l’enfant terrible du cinéma belge Fabrice Du Welz est diffusé ce soir à 21h50 sur La Trois et est également disponible sur RTBF Auvio pendant un mois. Le réalisateur de cinéma de genre ô combien cinéphile, clôture avec Adoration sa trilogie ardennaise. Un triptyque initié par Calvaire voici plus de quinze ans, suivi de Alléluia en 2014.
C’est l’occasion pour nous de revenir sur cette œuvre.

Avec, d’abord, trois interviews filmées du cinéaste et de son duo d’acteurs principaux composé de Thomas Gioria et Fantine Harduin (Ennemi Public) au 34e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), avant et après l’annonce du palmarès qui allait consacrer le talent des comédiens du Bayard de la Meilleure interprétation.

Deux interviews du réalisateur et de son actrice Helena Noguerra dans le cadre de la projection en avant-première de Alléluia et une rencontre avec différents acteurs du cinéma belge dans ce cadre, et les interviews express de Vincent Tavier et Manu Dacosse aux Magritte du cinéma (respectivement coscénariste et producteur, et chef-opérateur du film), un an avant les quatre statuettes obtenues au Square, ensuite.

Et, enfin, une présentation de Calvaire, sous forme de critique cette fois.

Aux côtés des jeunes acteurs Fantine Harduin et Thomas Gioria, on retrouve notamment Benoît Poelvoorde (bientôt à l’affiche de Inexorable, le prochain film de Fabrice Du Welz), Peter Van den Begin, Laurent Lucas, Jean-Luc Couchard, Renaud Rutten, et Pierre Nisse.
Quant à la très belle bande originale du film, elle est signée Vincent Cahay.

Notez que l’affiche de Adoration est l’œuvre du talentueux artiste belge Laurent Durieux, qui expose au MIMA jusqu’au 9 janvier prochain dans le cadre d’un double bill. Ce dernier comprend, outre « Drama, the art of Laurent Durieux », l’expo « The ABC of Porn Cinema », consacrée quant à elle au cinéma ABC, dernier cinéma porno de Bruxelles.

Jean-Philippe Thiriart

Crédit photo : Kris Dewitte

La trilogie ardennaise

Calvaire   ★★★★
Alléluia   ★★★
Adoration   ★★★

☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

Le 36e FIFF a livré ses verdicts !

Le 36e FIFF a livré ses verdicts ! 2560 1706 Jean-Philippe Thiriart

Ce vendredi 8 octobre avait lieu la remise des Prix du 36e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) dans une salle du Caméo remplie comme un œuf. Après des mois durant lesquels les amateurs de cinéma ont manqué de salles, ce retour du public n’a, de son côté, pas manqué de sel.

Les premiers prix à être remis ont été ceux de la catégorie « Prix Off Longs Métrages ». Le Prix du Public Documentaire belge a été décerné à Les mots de la fin de Agnès Lejeune et Gaëlle Hardy. Le Prix du Public Long métrage fiction est revenu à Freda de Gessica Généus. Il a ensuite été temps d’annoncer le Prix BeTV et c’est la réalisatrice Catherine Corsini qui a été primée pour La fracture. Toujours dans la catégorie « Prix Off Longs Métrages », Aya de Simon Coulibaly Gillard s’est vu attribuer le Prix Cinévox. Composé de trois journalistes, le Jury de la critique a souligné combien les quatre films qu’ils ont visionnés étaient de qualité, ce qui n’a pas facilité le choix qu’ils ont eu à poser. C’est Mon légionnaire qui a emporté la mise, un film qui sortira ce dix novembre dans les salles belges.
Le Prix du Jury Junior a ensuite été décerné à Animal de Cyril Dion.

Au tour ensuite des films concourant au sein de la catégorie « Compétition Première Œuvre » d’être récompensés.
Le Prix Petit Agnès a été remis à Anisia Uzeman et Saul Williams pour Neptune Frost. Le Prix de la meilleure interprétation a été décerné à Marie-Josuée Kokora pour son rôle dans Aya de Simon Coulibaly Gillard. Une Mention Spéciale a ensuite été remise à Les Héroïques de Maxime Roy pour la qualité de son scénario. Freda a alors reçu son deuxième prix avec l’obtention du Prix Découverte. Le film roumain Câmp de Maci de Eugen Jebeleanu s’est vu octroyer le Bayard de la Meilleure Première Œuvre.

La soirée s’est poursuivie avec la remise des Prix de la Compétition officielle. Le Prix Agnès est revenu à La MIF de Frédéric Baillif. Mélanie Thierry a reçu le Bayard de la Meilleure interprétation pour son rôle dans La Vraie Famille de Fabien Gorgeart, l’acteur Théodore Pellerin obtenant, pour sa part, une Mention Spéciale pour son interprétation dans le film québécois Souterrain de Sophie Dupuis. Ce dernier film a également reçu le Bayard de la Meilleure photographie, décerné au directeur de la photographie Mathieu Laverdière. Le Bayard du Meilleur scénario est revenu à Rachel Lang pour Mon légionnaire. Une nouvelle Mention Spéciale a été décernée à Patric Jean pour La Mesure des choses. Quant au Bayard Spécial du Jury, il a été remis à Radu Muntean pour Întregalde.

Enfin, le Bayard le plus attendu, celui du Meilleur film, est revenu à Frédéric Baillif pour La MIF, pour qui son travail consistait à montrer les choses qui se cachent parfois derrière les idées reçues. Si, dans un foyer d’accueil, la souffrance est là et bien palpable, les sourires sont tout aussi présents. Dans la salle, les acteurs du cinéma, journalistes et autres politiques avaient également le sourire. Ah… qu’il est agréable d’enfin pouvoir partager, à nouveau, des salles de cinéma !

Enfin, retrouvez trois membres de notre équipe de critiques sur les ondes de RCF Radio, dans l’émission « Les 4 sans coups » de Charles De Clercq.
Nous reviendrons sur cette 36e édition du FIFF sur l’antenne de RCF Bruxelles (107.6 FM) ce vendredi 15 octobre à 16h. Mais aussi ces samedi 16 à 17h, dimanche 17 à 21h et lundi 18 octobre à minuit. Notez que cette émission sera également diffusée sur RCF Namur et sur RCF Liège.

Raphaël Pieters avec la participation de Jean-Philippe Thiriart

Crédit photo : Nicolas Simoens pour En Cinémascope