interview

LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES : critiques du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview des réalisateurs

LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES : critiques du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview des réalisateurs 1280 777 Jean-Philippe Thiriart

Aujourd’hui, sort dans nos salles Reflet dans un diamant mort, le nouveau film du duo Hélène Cattet-Bruno Forzani. Avant de vous en livrer une critique, nous vous proposons un retour sur leur métrage précédent : Laissez bronzer les cadavres.

Au menu : critique du film, du combo Blu-ray – DVD, et interview des réalisateurs.

Et, en guise de petit plus, notre interview de Manu Dacosse, le directeur de la photographie du film, rencontré aux Magritte du Cinéma l’année où y était présent L’étrange couleur des larmes de ton corps, le deuxième long métrage de Hélène Cattet et Bruno Forzani, pour lequel il avait remporté le Magritte de la Meilleure image. Un prix qui lui a à nouveau été décerné, quatre en plus tard, pour son travail sur Laissez bronzer les cadavres.

Le film

Du Plomb en Or

Laissez bronzer les cadavres   ★★★★

Réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani
Scénario : Hélène Cattet et Bruno Forzani, d’après le roman Laissez bronzer les cadavres! de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid
Directeur de la photographie : Manu Dacosse
Avec Elina Löwensohn, Stéphane Ferrara, Hervé Sogne, Bernie Bonvoisin, Pierre Nisse, Marc Barbé, Michelangelo Marchese

Thriller
1h30

Une bande de braqueurs dérobe 250 kilos d’or. Après le casse, les malfrats se voient contraints d’emmener deux femmes et un enfant, se rendant dans un village abandonné et reculé qui sert de planque à la bande. Mais l’arrivée de deux flics va bouleverser les plans de chacun et la retraite virera bientôt au carnage.

Avec ce troisième film, librement adapté du roman éponyme de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid, le duo de réalisateurs Cattet-Forzani enfonce le clou et s’impose comme garant d’un cinéma de genre nouveau qui ne manque pas de rendre hommage aux anciens, gialli italiens en tête de liste.
Après Amer (2010) et L’étrange couleur des larmes de ton corps (2014), l’identité cinématographique du couple est confirmée par ce nouveau long métrage réalisé de mains de maîtres.

L’esthétique, si chère à la réalisatrice et au réalisateur, est encore une fois au premier plan de Laissez bronzer les cadavres. Au même titre que leurs deux films précédents, une influence du cinéma italien des années 70 ne peut être niée. Nous voilà donc ici en présence d’un ovni à la croisée des chemins entre film noir, polar et western.

Esthétique rime avec beauté plastique mais pas seulement. Certes, Cattet et Forzani attachent en effet énormément d’importance au rendu visuel de leurs films, avec la photographie éblouissante de Manu Dacosse (NDLR : la photographie d’Amer et de L’étrange couleur des larmes de ton corps, c’était déjà lui. Il avait d’ailleurs obtenu le Magritte de la Meilleure image pour son travail sur L’étrange couleur des larmes de ton corps : voir notre interview ci-dessous.) Mais ils ne s’arrêtent pas là, la bande-son jouant également un rôle prédominant dans l’atmosphère du film. Que ce soit la bande originale ou simplement les bruitages de scène (aaah, ce son envoûtant du cuir !), l’ensemble participe à l’œuvre et chaque aspect contribue à ce que l’objet filmique soit un réel plaisir des sens.

Manu Dacosse, lauréat en 2019 du Magritte de la Meilleure image pour son travail sur Laissez bronzer les cadavres
Crédit photo : Madame fait son Cinéma – Stéphanie Lannoy

Et ces sens, parlons-en. Le cinéma du duo est un cinéma sensoriel, charnel. La caméra ne se veut pas uniquement le vecteur de présentation des scènes mais représente un réel relais entre celles-ci et le spectateur, au point que ce dernier peut ressentir la chaleur plombante du soleil, les odeurs, les textures. La manière de filmer, les différents points de vue adoptés ou encore les gros plans sur des parties de corps (marque de fabrique des réalisateurs depuis leurs débuts) y sont évidemment pour beaucoup dans cette envie de faire participer celui ou celle qui se laisse prendre au jeu et peuvent très facilement reléguer au second plan un jeu d’acteurs parfois bancal.

Signalons que c’est le monteur son et coordinateur des effets visuels Daniel Bruylandt qui a collaboré avec le duo Cattet-Forzani sur leurs quatre longs métrages. Il remportait d’ailleurs, aux côtés de Yves Bemelmans, Benoît Biral et Olivier Thys, le Magritte du Meilleur son pour Laissez bronzer les cadavres. Il a aussi travaillé sur le son en postproduction de The Belgian Wave de Jérôme Vandewattyne, réalisateur de Slutterball et de Spit’n’Split, notamment.

Laissez bronzer les cadavres est un métrage résultant d’une certaine expérimentation en matière de mise en scène. Si chaque détail, chaque mouvement de caméra, chaque coup de feu a son importance, certaines idées et transitions de plan participent également à l’ambiance générale. Une très jolie preuve que le cinéma peut encore inventer. Et surprendre !

Guillaume Triplet, avec la participation de Jean-Philippe Thiriart

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

Le combo Blu-ray – DVD

★★★★

Bel objet pour le moins complet que ce combo Blu-ray – DVD de Laissez bronzer les cadavres, qui comprend le film en Blu-ray et en DVD, donc, ainsi qu’une série de bonus, et quels bonus ! Cinq interviews, la bande annonce et un teaser du film, le récit de tournage, écrit par le journaliste et critique de cinéma Christophe Lemaire sous forme de livret et, enfin, deux courts métrages du duo Cattet-Forzani : Santos Palace (2006) et O is for Orgasm (segment de The ABCs of Death, film à sketches d’horreur américano-néo-zélandais sorti en 2012).

Les interviews

Plutôt que de prendre eux-mêmes la parole, estimant peut-être qu’elle et il le font déjà entièrement à travers leurs films, Hélène Cattet et Bruno Forzani préfèrent ici la donner, pendant près d’une heure et demie, à quatre de leurs acteurs et actrices – Elina Löwensohn, Dominique Troye, Stéphane Ferrara et Bernie Bonvoisin -, et à Jean-Pierre Bastid, coauteur avec Jean-Patrick Manchette du roman éponyme de Laissez bronzer les cadavres, et Doug Headline, le fils de ce dernier, qui est aussi le producteur associé du film.

Elina Löwensohn établit un lien entre le cinéma de ses réalisateurs et les gialli, de Dario Argento notamment. Elle explique qu’avec eux, elle a le sentiment de faire du vrai cinéma et détaille leur processus créatif si spécifique. Elle qui « préfère faire des films où la personnalités des auteurs est présente », ne souhaite pas jouer dans « des films qu’on peut voir à la télé », et a un véritable amour pour la pellicule.

Ensuite, Dominique Troye, qui n’était plus retournée devant une caméra depuis 25 ans, jouant bien souvent des rôles pour le moins déshabillés, souligne entre autres à quel point ses réalisateurs sont complémentaires, après nous avoir parlé de sa rencontre avec eux et de la façon dont son rôle lui a été confié. Elle présente aussi, de manière fort intéressante, la conception d’un des dispositifs utilisés pendant le tournage, dont nous ne vous dirons rien de plus, de peur de divulgâcher une partie du récit, comme disent nos amis québécois.

Par après, Stéphane Ferrara, ancien champion de boxe « formé par Galabru », nous parle de sa rencontre avec Jean-Paul Belmondo, rencontre qui en a, elle-même, mené à une autre : celle de Jean-Luc Godard. Lui, pour qui la caméra doit aimer les acteurs, voit en Hélène Cattet et Bruno Forzani deux des membres de sa famille de cinéma, eux qui transgressent les règles du cinéma en faisant du grand cinéma à travers, ici, un film précurseur. Il nous parle alors, lui aussi, de son rapport à la pellicule.

Au tour du comédien rockeur Bernie Bonvoisin, par la suite, de nous parler de la manière de travailler de Hélène Cattet et Bruno Forzani, des « chabraques » dans l’univers desquels c’est « un privilège d’entrer ». Il explique combien il sentait sur le plateau, situé à 800 mètres d’altitude, « qu’il se passait quelque chose de différent », combien, quand on allait « se le prendre dans la gueule », ça allait être puissant. Il nous confie aussi qu’il a vu dans ce film des choses qu’il n’avait jamais vues auparavant.

Enfin, ce sont Jean-Pierre Bastid et Doug Headline qui, séparément, nous permettent d’en apprendre encore davantage sur le film.

Jean-Pierre Bastid, grand amoureux du cinéma américain de série B, nous retrace la genèse de l’ouvrage coécrit avec Jean-Patrick Manchette. Il évoque aussi, notamment, leur envie de cinéma, bien avant l’écriture de Laissez bronzer les cadavres !, livre dans lequel il voit un polar, certes, mais aussi un western.
Doug Headline, lui, nous fait part, entre autres, de la manière dont a été coécrit Laissez bronzer les cadavres !, une expérience d’écriture à la fois « assez hasardeuse et assez sympathique » d’un livre qui renferme un peu de commentaire social, ainsi que socio-culturel.

Jean-Philippe Thiriart

L’interview des réalisateurs

Bruxelles, Avenue Louise, Workshop Café. 8 janvier 2018, 17h.

C’est dans ce cadre détendu mais néanmoins propice au travail que nous avons rendez-vous avec les réalisateurs Hélène Cattet et Bruno Forzani à l’occasion de la sortie, le mercredi 10 janvier 2018, de leur troisième long métrage : Laissez bronzer les cadavres. Le sourire aux lèvres et tout en décontraction, les responsables des chefs-d’œuvre Amer et L’étrange couleur des larmes de ton corps ne seront pas avares en explications sur leurs méthodes de travail, leurs visions cinématographiques, leurs influences et la « carte blanche » qui leur sera consacrée au Cinéma Nova du 10 janvier au 25 février 2018. Un entretien des plus riches autour d’un thé, d’une eau gazeuse et d’un double espresso. Parce qu’on a beau être détendu, on n’en est pas moins sérieux.

En Cinémascope : Laissez bronzer les cadavres est votre troisième long métrage. Vous avez déjà une certaine notoriété auprès du public de cinéma de genre mais pour un public plus large, qui sont Hélène Cattet et Bruno Forzani ?

Bruno Forzani : Moi, j’ai l’impression que c’est Hélène qui a la réponse. (il rit)

Hélène Cattet : C’est assez difficile comme question. C’est vrai qu’on a un certain public mais j’ai l’impression qu’on touche un public déjà un peu plus large que celui du cinéma de genre. On a bien sûr un public fidèle au genre mais on passe aussi dans des festivals de films plus généralistes.

B.F. : Les spectateurs qui aiment le genre aiment peut-être nos films parce qu’ils y trouvent tous les ingrédients en termes d’érotisme ou de violence car on y va à fond. Et les gens qui aiment plus le cinéma d’auteur avec une recherche formelle ou esthétique y trouvent aussi leur compte parce qu’il y a aussi un gros travail à ce niveau-là. C’est un peu pour ça que nos films passent dans des festivals de films de genre mais aussi dans des musées d’art contemporain ou encore à l’UGC comme au Nova. C’est assez varié. C’est difficile à définir, ça mélange plein de choses.

Laissez bronzer les cadavres, un duel au soleil

E.C. : Ce film est adapté d’un roman de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce livre et vous a donné envie de l’adapter au cinéma ?

H.C. : Pour ma part, ce que j’ai aimé en le lisant, c’est que je l’ai trouvé d’emblée très cinématographique et très visuel. Tout y était déjà posé : les ambiances, presque les cadrages… c’était tout le temps dans l’action. Et cette action me faisait penser à des westerns à l’italienne. Je m’y suis vraiment retrouvée parce que, comme on aime beaucoup le cinéma de genre italien des années 70, j’ai vraiment eu des images qui me sont revenues de films à la Sergio Leone.

B.F. : Ce que moi, j’ai aimé, en lisant le livre, c’est que tout était raconté en termes d’espace et de temps. Donc c’était hyper cinématographique. Et ça rejoignait ce qu’on avait fait avant puisqu’on n’est pas du tout dans une approche psychologisante mais plutôt dans une optique comportementaliste où les personnages se définissent par leurs actions.

H.C. : Les personnages se racontent par ce qu’ils font. On comprend qui ils sont en les voyant agir et pas par des dialogues explicatifs. C’est vraiment cette action, leurs gestes, les choix qu’ils font, qui parlent des personnages et qui font tout avancer.

E.C. : Vous parliez de cinéma italien des années 70. Que ce soit dans Amer, dans L’étrange couleur des larmes de ton corps ou encore ici, dans Laissez bronzer les cadavres, on remarque bien que l’esthétique est prédominante chez vous, qu’elle soit visuelle ou sonore. L’influence de ce genre de cinéma est-elle encore assumée ou devient-elle ennuyeuse pour vous à force d’entendre dire que vos films sont des hommages aux gialli italiens ?

B.F. : Il y a deux choses en fait. Le côté années 70 est assumé parce qu’on est nés dans cette période-là. Mais c’était surtout une époque où le cinéma était en recherche, était très créatif. Tu as eu la Nouvelle Vague à la fin des années 60 et puis le cinéma de genre par la suite était quelque chose de créatif, ce n’étaient pas juste des produits, il y avait une vraie recherche. Donc, de ce point de vue-là, on est dans cette mouvance. Par contre, on ne perçoit pas vraiment ce qu’on fait comme des hommages à un truc qu’on aime bien. C’est quelque chose de plus viscéral. On se sert davantage d’un langage pour raconter des histoires personnelles.

H.C. : C’est vrai que ce cinéma nous a nourris et nous a inspirés mais je pense qu’on a digéré et oublié ces références, et maintenant elles sont en nous. Quand on fait un film, ça sort naturellement. C’est devenu notre vocabulaire, notre manière de faire.

E.C. : Vous parlez justement de ce qui vous a nourris. Quel est donc votre parcours cinématographique ?

B.F. : Ça a commencé quand on était petits avec ce qui passait à la télé genre King Kong, Charlot… Les premiers souvenirs que j’ai, c’est ça. Et puis après, au cinéma, j’ai vu les Walt Disney. Par la suite j’ai découvert Fellini avec La Dolce Vita vers mes dix ans. À partir de douze ans, j’étais à fond dans les films d’horreur, slashers et autres. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le cinéma de genre italien où, par rapport aux films américains qui étaient des produits sans surprise, tu avais vraiment de la mise en scène, la violence était exploitée de manière graphique et pas du tout puritaine. Ça donnait quelque chose de différent. Après cela, il y a eu Orange Mécanique. J’étais à cette époque en recherche d’adrénaline. J’entendais parler de ce film depuis que j’étais petit et je me le représentais un peu comme un summum de la violence. Alors que quand je l’ai vu, ce n’était pas un film violent mais plutôt un film sur la violence, ce qui m’a donné un autre point de vue. Et donc si tu me demandes mon parcours cinématographique, je te dirais que tout s’est un peu construit en allant de Charlot à Orange Mécanique.

Orange mécanique, un des films qui ont construit le réalisateur qu’est Bruno Forzani

H.C. : Pour ma part, c’est plus comme si j’avais trouvé un moyen d’expression. Je n’ai jamais été super à l’aise pour parler ou m’exprimer par le verbe. Donc quand j’ai découvert la manière dont on faisait des films, j’ai eu l’impression de trouver un moyen de dire les choses. C’est vraiment avec la pratique que j’ai appris. On a commencé à faire des courts métrages autoproduits, sans argent. On faisait ça avec les copains et on a appris petit à petit à faire nos films, à construire notre univers, à essayer des choses…
Les festivals nous ont aussi beaucoup aidés, soutenus, encouragés. Et grâce à eux, on a essayé de trouver un producteur. C’est comme ça qu’on a rencontré notre productrice, Eve Commenge, avec qui on a fait tous nos longs métrages.

B.F. : C’est aussi avec elle qu’on a fait notre dernier court, Santos Palace (2005).

H.C. : Ce court métrage a été notre première expérience avec un producteur. On a donc progressé à partir de là.

B.F. : On a appris de manière pragmatique et non intellectuelle. Comme on a commencé à faire les choses avec des moyens très pauvres, on ne pouvait pas faire tout ce qu’on avait dans la tête. On a donc toujours conçu les films par rapport aux moyens qu’on avait et pas par rapport à une idée folle.

H.C. : Pour les courts métrages, on n’avait rien du tout, pour ainsi dire. C’était vraiment le système de la débrouillardise totale et ça nous a appris à fonctionner d’une certaine manière. C’est comme ça qu’on a fait Amer.

B.F. : On voulait tourner en pellicule mais comme on n’avait pas d’argent pour en acheter, on l’a fait en diapositives comme Chris Marker dans La Jetée (NDLR : court métrage français sorti en 1962 et salué par la critique). On ne pouvait donc pas faire de prises de sons directes. Du coup, on a développé cette manière de faire le son en postproduction.

H.C. : Tous nos films sont faits comme ça. On n’a pas de preneur de son, donc tous nos films sont muets quand ils sont tournés et montés. Après, on recrée tous les sons avec un bruiteur.

B.F. : Il y a donc un deuxième tournage, qui est sonore.

H.C. : C’est pour ça que le son est aussi important, parce qu’il y a une étape où on ne travaille que ça.

E.C. : Ce qui marque chez vous, au niveau de la réalisation, c’est l’importance de chaque détail. Comme si chaque plan et chaque point de celui-ci participaient à la narration du film. On a l’impression que vous êtes de grands perfectionnistes…

B.F. : C’est un peu notre problème et du coup on souffre beaucoup. (il rit) La postproduction est donc un long tunnel de neuf mois.

H.C. : Il faut être un peu masochiste. C’est super dur mais on n’arrive pas à faire autrement. Chaque détail parle de l’histoire et des personnages donc chaque détail est important.

B.F. : Du coup, dans la manière de travailler, on est obligés d’être là en permanence dans le dos des gens et de les embêter. (il rit)

E.C. : Il y a aussi un côté très expérimental chez vous…

B.F. : Pour ma part, ce n’est pas quelque chose que je revendique mais c’est juste parce qu’on essaie de raconter nos histoires par la forme, par le montage et par des outils cinématographiques. Alors est-ce que c’est le cinéma qui est devenu plus pauvre maintenant et que dès que tu travailles un peu la forme et que tu utilises un peu ces outils, ça devient expérimental tellement le reste, ce n’est que des champs – contre-champs avec des personnes qui parlent dans une pièce, je ne sais pas. Mais moi, en tout cas, je n’ai pas la sensation de faire des films expérimentaux.

H.C. : Moi non plus mais je sais qu’on essaie d’utiliser au plus ces outils visuels et sonores. C’est vrai qu’on essaie des choses et on en « expérimente » d’autres quand même.

E.C. : Vous fixez-vous des limites dans ces mises en forme ?

B.F. : Moi, ma seule limite, c’est Hélène.

H.C. : Et moi, c’est Bruno. (ils rient) On s’arrête quand on est satisfaits et qu’on a réussi à faire passer tel ou tel sentiment. On aime raconter des choses avec un certain nombre d’éléments mais que ceux-ci ne soient pas totalement expliqués. On aime que le spectateur se crée aussi son histoire.

E.C. : Vous laissez une place à l’interprétation…

H.C. : Exactement ! Comme quand on lit un livre. On s’imagine des choses, on a sa place dans le livre. On veut que le spectateur ait aussi sa place dans le film et que chacun, en fonction de qui il ou elle est, de son expérience, de son bagage, s’imagine ou vive les choses un peu différemment que son voisin. Et, en même temps, ça reste une démarche collective parce que c’est quelque chose qu’on fait pour l’ensemble.

E.C. : Finalement c’est une démarche assez vendeuse pour vos films parce que ça signifie qu’on peut regarder plusieurs fois le film et le vivre peut-être différemment à chaque fois.

B.F. : On le fait dans cette optique-là, pour qu’à chaque fois que tu le revois, tu découvres de nouvelles choses et qu’il prenne plus de profondeur.

E.C. : Y a-t-il une dimension mystique, de rêves ou de fantasmes dans les histoires que vous racontez ?

H.C. : Tout à fait. C’est vrai que ce film-ci est un peu différent des autres mais on essaie de travailler sur les fantasmes des personnages…

B.F. : Et d’effacer la limite entre le rêve et la réalité.

H.C. : On essaie de jouer avec les frontières : passé-présent, rêve-réalité, fantasme-réalité…

E.C. : À ce propos, existe-t-il un rêve ou un fantasme cinématographique que vous aimeriez réaliser ?

B.F. : J’ai déjà l’impression qu’on l’a réalisé avec tout ce qui nous arrive en ce moment, le fait d’avoir fait des courts métrages et trois longs, que des personnes s’intéressent à ce qu’on fait, que ça procure des sensations aux gens, de les voir émus ou énervés à la fin du film…

Laissez bronzer les cadavres, ça va chier !

E.C. : Vous aimez susciter les réactions ?

H.C. : Nous, on aime bien avoir des réactions au cinéma. On aime ressortir en étant questionnés, perturbés, épuisés. En tout cas, en ayant vécu quelque chose qui nous fait réfléchir. C’est donc peut-être pour ça aussi qu’on fait de tels films.

E.C. : Pourriez-vous nous parler de la bande originale et de vos choix musicaux pour Laissez bronzer les cadavres ?

H.C. : Le thème principal vient du film La Route de Salina de Georges Lautner (1970).

B.F. : C’est un film français qui a été tourné à Lanzarote. Un peu particulier, parfois légèrement Quatrième Dimension et totalement hippie dans l’esthétique et dans la nudité des personnages. Et cette musique assez incroyable a été écrite par le chanteur français Christophe. Elle nous faisait énormément penser aux westerns de Sergio Leone et comme notre film est un peu un mélange de genres, on trouvait que cette musique était cohérente. Puis on a utilisé des vrais thèmes de westerns à l’italienne comme Le Dernier Face à face d’Ennio Morricone. (NDLR : extrait du film du même nom de Sergio Sollima (1967)) On a utilisé plusieurs thèmes de ce compositeur dans le film. Notre but était d’utiliser ces musiques parfois dans un autre contexte que celui pour lequel elles avaient été faites au départ. On en a par exemple utilisé une dans la phase de préparation du braquage dans le film, donc plus dans un contexte de polar que de western. Une autre provient de la période bruitiste d’Ennio Morricone. Quand il collaborait avec Dario Argento, donc purement giallesque expérimentale. Et une autre vient du giallo Qui l’a vue mourir ? (Aldo Lado, 1972) Le thème est assez atypique, avec des chœurs d’enfants. Et on l’a utilisé parce qu’on cherchait quelque chose d’un peu fiévreux pour la scène du duel. On avait essayé de l’utiliser à l’époque pour L’étrange couleur des larmes de ton corps mais ça ne collait trop au giallo et donc ça aurait eu ce côté hommage et référence qu’on ne voulait pas. Alors qu’ici, elle avait sa place et pouvait avoir une autre signification.

Le Dernier Face à face, plus qu’une source d’inspiration pour Hélène Cattet et Bruno Forzani

E.C. : N’est-ce pas trop difficile de faire des films à deux tout le temps ?

H.C. : Si, c’est super dur. (elle rit)

E.C. : Des conflits artistiques ?

H.C. : Oui, tout le temps. (elle rit)

B.F. : Après L’étrange couleur des larmes de ton corps, on ne pouvait plus se saquer. (il rit)

E.C. : Mais vous avez remis le couvert quand même…

B.F. : Oui, on a remis le couvert mais en partant sur une adaptation. On n’avait pas un scénario personnel.

H.C. : C’est la première fois qu’on adapte quelque chose mais c’était pour retrouver une manière plus légère de travailler. Comme les films précédents étaient très personnels et que, malgré tout, on a des points de vue et des univers différents, le but était de faire quelque chose où les deux soient satisfaits. Et parfois, c’est une lutte.

B.F. : Surtout que ce sont des films qui sont sensoriels, subjectifs, c’est donc assez difficile quand l’un ressent le truc et l’autre pas, parce que si tu ressens, tu ne peux pas expliquer à l’autre.

H.C. : C’est intéressant malgré tout, mais ce n’est pas la facilité.

Une carte blanche au Nova pour le duo de réalisateurs

E.C. : À partir de ce mercredi 10 janvier 2018, vous avez une carte blanche au Cinéma Nova. Quatre films seront projetés. J’aimerais terminer cette interview en vous demandant quelques mots sur chacun d’eux et sur ce qu’ils représentent pour vous.

B.F. : Il y a Bullet Ballet (Shin’ya Tsukamoto, 1998), un film au son assez puissant et au montage hyper « cut », dont tu ressors assez épuisé. Mais c’est une expérience que tu ne peux vivre qu’en salle. Les premiers films de Tsukamoto, je les avais d’ailleurs découverts au Nova. Tu parlais tout à l’heure de détails et j’avais lu une interview de Tsukamoto concernant Tetsuo 2 (1992) où il disait qu’un des grands maîtres japonais avait vu le premier Tetsuo (1989) et lui avait dit que ça manquait de détails. Il a donc fait Tetsuo 2 en y faisant plus attention et ça m’avait marqué.

H.C. : Il y a aussi Seul contre tous (Gaspar Noé, 1998, avec Philippe Nahon). C’est un film qui nous a réunis parce qu’on l’a vu ensemble au Nova, décidément, et c’est un film qui nous a donné quelque part le déclic pour commencer à faire des films sans argent. C’est un film qui est autoproduit et que Noé a fait par ses propres moyens. C’est en pellicule, c’est ingénieux, et la photo est magnifique.

B.F. : Et c’est en cinémascope ! (NDLR : ouiii : il l’a dit !) En termes de cadre, c’était hyper carré, fixe.

H.C. : Ça nous a beaucoup influencés dans la démarche et l’esthétique. Il est à la base de notre collaboration.

B.F. : C’est aussi une manière complètement transversale d’aborder le genre. C’est comme un « vigilante » mais raconté d’une autre manière.
Après, il y a Le Dernier Face à face de Sergio Sollima (1967) dont l’une des musiques se retrouve dans Laissez bronzer les cadavres. Par rapport aux westerns à l’italienne, il est moins graphique que les autres mais les personnages cassent un peu le mythe américain. Ils sont tous gris et tu n’as pas le gentil shérif et les méchants indiens. Au niveau de l’histoire, c’est aussi très prenant parce que c’est une autre manière de raconter cette histoire américaine.

Venus in Furs, dont le réalisateur, Jess Franco, a réalisé plus de 200 films

H.C. : Et le dernier c’est Venus in Furs (Jess Franco, 1969) pour le côté psychédélique, pop, 70s.

B.F. : Personnellement, je trouve que c’est un des meilleurs films de Jess Franco, même si je ne les ai pas tous vus puisqu’il en a fait 180 (il rit) (NDLR : Jess Franco est en fait crédité pour plus de 200 réalisations.) Après, en termes de pop, de costumes, d’iconographie de l’héroïne, d’effets… c’est très créatif. Il y a aussi le côté jazzy du film par sa musique et sa construction. Et pour Laissez bronzer les cadavres, on a aussi abordé l’esthétique avec un côté pop. Donc ce genre de films nous a aussi inspirés.
La carte blanche du Nova met ainsi en évidence quatre films qui représentent autant de facettes de notre approche.

Propos recueillis par Guillaume Triplet, avec la participation de Jean-Philippe Thiriart

L’interview de Manu Dacosse

Manu Dacosse, directeur photo, notamment, de tous les longs métrages de fiction belges de Fabrice du Welz depuis que le réalisateur de Calvaire et lui ont travaillé ensemble sur Alleluia (Adoration, Inexorable et Maldoror) avait remporté, en 2015, aux Magritte du Cinéma, le Magritte de la Meilleure image pour sa direction photo sur le deuxième long métrage de Hélène Cattet et Bruno Forzani : L’étrange couleur des larmes de ton corps.

En Cinémascope : Comment avez-vous travaillé avec votre duo de réalisateurs, Hélène Cattet et Bruno Forzani, sur L’étrange couleur des larmes de ton corps ?

Manu Dacosse : Ça fait 15 ans que je travaille avec Hélène et Bruno. Nous avons fait plusieurs courts métrages ensemble, dès que je suis sorti de l’école. Puis on a reçu des subventions et leur premier long métrage, Amer, s’est monté, lequel m’a ouvert d’autres portes.

Amer, qui était en lice aux premiers Magritte du cinéma…

Tout à fait. Ensuite, Fabrice Du Welz a vu ce film et m’a appelé pour Alléluia.

L’étrange couleur des larmes de ton corps est un film que Vincent Tavier, producteur d’Alleluia, notamment, aurait beaucoup aimé produire…

On fait un peu partie de la même famille. C’est quelqu’un que j’apprécie énormément, tout comme le style des films qu’il produit. Et c’est vrai que je pense qu’il nous aiderait sans doute si on faisait appel à lui. On fait partie de cette même petite famille-là du cinéma de genre en Belgique.

Comment traduisez-vous à l’image les idées de vos réalisateurs. Elles sont parfois complètement folles. Un challenge pour vous ?

Ils ont des idées complètement folles mais c’est pour ça que je les aime ! (il rit) Ils me poussent toujours dans mes derniers retranchements et je n’ai pas de limite avec eux. C’est pareil avec Fabrice (du Welz) : on ne se donne pas de limite. On va au bout, on cherche et on pousse. Je fais d’autres films que l’on pourrait qualifier de plus commerciaux. Ici, il s’agit vraiment d’un cinéma de genre qui veut, à mon sens, se démarquer des autres cinémas. On pousse donc dans les limites.

Un mot sur le BIFFF, le Festival International du Film Fantastique de Bruxelles, si vous le voulez bien ?

J’aimerais bien y voir un de nos films sélectionné. J’y vais souvent et je trouve que c’est un très bon festival à l’excellente programmation. Je serais heureux qu’ils m’invitent. (NDLR : Manu Dacosse avait été, peu après, invité par le Festival, mais n’a finalement pas pu s’y rendre en raison de son emploi du temps.) Ils ont fait une conférence de directeurs photo voici deux ans qui était vraiment très intéressante. Ce sont des gens qui aiment le cinéma.

Trois raisons pour lesquelles il faut aller voir Alleluia, cette fois ?

Parce que c’est vraiment du cinéma.
Parce qu’on ne sort pas indemne du film.
Et parce que c’est un film très fort sur l’amour et ses dérives.

Propos recueillis par Jean-Philippe Thiriart

Au revoir Émilie… – Émilie Dequenne (1981-2025)

Au revoir Émilie… – Émilie Dequenne (1981-2025) 1800 1232 Jean-Philippe Thiriart

Écrire cet article nous est difficile. Son titre, notamment.
Et refermer la parenthèse de ce dernier, surtout.

C’est qu’Émilie Dequenne a été tout sauf une parenthèse dans nos vies.
Dans notre vie d’amoureux du cinéma. Tant d’auteur que populaire.
Dans celle de journaliste, aussi.

Hier, ont eu lieu ses funérailles et nous tenons, à notre manière, à la remercier pour ces quelques instants précieux vécus avec elle au fil des années.

Ce fut, à chaque fois, un vrai bonheur d’être témoin de sa passion pour le cinéma, belge notamment, qu’elle a fait rayonner aux quatre coins du monde.

C’est que si elle illuminait l’écran, Émilie Dequenne était aussi, humainement, une personne rare.

Merci à elle d’avoir tant donné au septième art, de nous avoir tant donné !

Émilie Dequenne aux 12e Magritte du Cinéma

En guise d’au revoir, nous avons choisi de partager avec vous nos interviews d’Émilie aux 12e Magritte du Cinéma.

Émilie aux 12e Magritte du Cinéma avec Close, de Lukas Dhont.

Lauréate du trophée de la Meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation à fleur de peau d’une maman courage dans le Close de Lukas Dhont, elle mettait en avant, avec éclat, toute l’affection qu’elle avait pour le film, pour son réalisateur Lukas Dhont et pour l’expérience humaine vécue avec l’équipe du film.

C’est avec tendresse que nous vous invitons aussi à la voir nous parler de son plaisir de jouer. C’est qu’elle choisissait ses rôles avec un rare soin, se livrant à chaque fois pleinement pour leur donner toute leur substance.

Émilie nous parle de son plaisir de jouer.

Une filmographie dense et variée

« Je m’appelle Rosetta »

Pour nombre d’entre nous, Émilie restera la bouleversante Rosetta des frères Dardenne. Elle avait d’ailleurs fêté le quart de siècle du film l’an dernier à Cannes, première Palme d’Or décernée à un long métrage belge. Elle était alors en rémission de ce foutu cancer diagnostiqué en été 2023, qui l’a emportée beaucoup trop tôt.

C’est en 1999, en effet, que les Frères Dardenne nous racontaient, à travers elle, l’âpre lutte d’une jeune fille exclue d’une société dans laquelle elle tente coûte que coûte de trouver sa place. Si le film remportait la récompense cannoise suprême, il allait aussi consacrer une toute jeune Émilie Dequenne, Prix d’interprétation féminine à même pas 18 ans.

Ce regard… celui d’Émilie Dequenne, la Rosetta des Dardenne

Au total, sa filmographie compte près de cinquante films, pour une carrière longue de 25 ans. Parmi lesquels figurent, outre les quatre œuvres belges essentielles que sont À perdre la raison, Pas son genre (voir ci-dessous), Chez nous et Close, des œuvres aussi diverses que, pour n’en citer que quelques-unes, Le Pacte des loups (Christophe Gans, 2001), Une femme de ménage (Claude Berri, 2002), La fille du RER (André Téchiné, 2009), Au-revoir là-haut (Albert Dupontel, 2017), Survivre (Frédéric Jardin, 2023) ou encore TKT (T’inquiète) (Solange Cicurel, 2024).

Elle restera aussi, pour nous, la touchante Brigitte de Philippe Lioret dans L’équipier, où elle était, comme à son habitude, pétillante de naturel.

Émilie, Cannes, les César…

Émilie obtenait un second Prix d’interprétation à Cannes en 2012 pour son incarnation d’une maman à la dérive dans À perdre la raison (Joachim Lafosse, 2012).

En 2021, elle se voyait décerner le César de la Meilleure actrice dans un second rôle pour sa prestation dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait (Emmanuel Mouret, 2020).

… et les Magritte du Cinéma !

En Belgique, elle a été présente et récompensée à plusieurs reprises aux Magritte du Cinéma, cinéma belge francophone et cinéma belge flamand confondus.

En effet, outre son Magritte de la Meilleure actrice dans un second rôle décerné en 2023 pour Close, de Lukas Dhont, et mis en avant ci-dessus en images, Émilie a remporté trois autres statuettes : celles de la Meilleure actrice, cette fois, pour À perdre la raison, ainsi que pour Pas son genre et Chez nous (Lucas Belvaux, 2014 et 2017).

Émilie, amusée et amusante, en 2013, aux Magritte du Cinéma
Crédit photo : En Cinémascope – Simon Van Cauteren

Sa présidence des Magritte du Cinéma et Pas son genre

Émilie Dequenne avait également présidé la quatrième Cérémonie des Magritte du Cinéma. C’était en 2014 et c’est dans ce cadre que nous l’avions rencontrée cette année-là, quelques minutes seulement avant sa prise de parole sur la scène de la grande salle du Square, à Bruxelles. Ci-dessous, un extrait de cet entretien.

En Cinémascope : En 2013, vous remportiez le Magritte de la Meilleure actrice pour votre interprétation dans À perdre la raison, de Joachim Lafosse. Cette année-ci, en 2014, vous êtes la présidente de la Cérémonie. Quel sentiment vous anime à quelques minutes du début de la soirée ?

Émilie Dequenne : C’est un trac immense ! C’est très particulier parce que je vois ça comme une responsabilité très importante. Je le dirai ce soir lors de l’ouverture de la cérémonie : au début, ça m’a fait sauter de joie et danser. Et après, je suis un peu redescendue sur terre. Je me suis dit que j’étais quand même très jeune et me suis demandé s’il n’y avait pas plus présidentiable que moi. Mais je vous raconterai tout ça tout à l’heure.

Présider la cérémonie aux côtés de Fabrizio Rongione, qui sera, lui le Maître de Cérémonie, ça doit vous faire quelque chose de particulier ?

Bien sûr ! Avec Fabrizio, c’est spécial parce qu’on s’est connus sur Rosetta. Et il s’agit, pour moi, du film qui a marqué un changement de position, une prise de conscience dans le cinéma belge. Et je pense à tous les autres artistes qui seront présents ce soir sur cette scène. C’est excessivement important pour moi !

Et d’ajouter : « Pas son genre est un film merveilleux qui parle d’amour et dans lequel ça chante et ça danse ! »

Elle avait vu juste en pressentant que « ça va être un très joli film ! », elle qui a été pour beaucoup dans la beauté du film de Lucas Belvaux.

Émilie, quelques minutes avant sa présidence des 4e Magritte du Cinéma
Crédit photo : En Cinémascope – Simon Van Cauteren

Aux Magritte 2015, nous félicitions Jean-Pierre Dardenne pour les trois Magritte qu’il avait obtenu avec son frère Luc pour Deux jours, une nuit, soulignant qu’un lien les unissait à deux autres Magritte décernés ce soir-là. À savoir ceux obtenus par deux des acteur et actrice qu’ils avaient fait naître au cinéma : Jérémie Renier et… Émilie Dequenne, récompensés respectivement ce soir-là des Magritte du Meilleur acteur dans un second rôle (Saint Laurent – Bertrand Bonello, 2014) et de celui de la Meilleure actrice pour Pas son genre, de Lucas Belvaux, donc.

Il nous avait répondu que « Luc et moi, nous sommes très contents pour Jérémie parce que c’est un excellent comédien. Ainsi que pour Émilie. Depuis que nous la connaissons, je pense que le rôle qu’elle joue dans le film de Lucas Belvaux était un grand rêve pour elle. Il y a tellement longtemps qu’elle rêvait de pouvoir chanter au cinéma et d’avoir un rôle aussi flamboyant ! ».

Nous ne pouvons qu’abonder dans le sens des propos de Jean-Pierre Dardenne : Émilie crève l’écran, rayonnant comme jamais dans le film de Lucas Belvaux !

Autre témoignage de sa proximité avec notre cinéma, Émilie était, en 2020, la marraine d’exception du premier volume de « La Belge Collection », quatre courts métrages 100% belges.

Nous vous proposons de laisser le mot de la fin à l’actrice Monica Bellucci, rencontrée aux 10e Magritte du Cinéma. Elle nous parle notamment d’Émilie.
Nous la rejoignions. Nous la rejoignons. Tellement !


Puissiez-vous reposer en paix, à présent, Émilie.

Enfin, beaucoup de courage à votre famille et à vos proches !

Jean-Philippe Thiriart

Le FIFF place à nouveau Namur au cœur du cinéma francophone, avec 12 places à gagner !

Le FIFF place à nouveau Namur au cœur du cinéma francophone, avec 12 places à gagner ! 1080 1080 Jean-Philippe Thiriart

Plus que quelques fois dormir avant que ne démarre la 39e édition du Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF).
Quant à notre concours FIFF, il démarre aujourd’hui ! (voir infos ci-dessous)

Du vendredi 27 septembre au vendredi 4 octobre prochains, le cœur de la capitale wallonne battra une nouvelle fois la chamade pour un cinéma issu des quatre coins de la Francophonie : de France et de Belgique, bien sûr, mais aussi du Québec, de Suisse, de Madagascar, de Tunisie ou encore du Rwanda, pour ne citer que quelques-uns des pays représentés cette année à Namur.

Que ce soit en salles, naturellement, pendant et après les projections de longs métrages ainsi que de films courts, mais aussi, notamment, dans les rues de Namur ou encore sous le chapiteau du FIFF, qui signe son grand retour cette année, Place d’Armes. Centre névralgique du Festival, nombreux seront les Festivaliers qui prendront plaisir à s’y retrouver avant ou après une séance, pour boire un verre, faire un pas de danse ou encore participer aux ateliers et aux rencontres qui y seront organisés huit jours durant.

Le FIFF s’ouvrira ainsi ce vendredi 27 septembre avec la projection du long métrage français En fanfare, réalisé par Emmanuel Courcol, précédée de celle du court métrage belge Musclé masqué dans: ferraille pagaille, réalisé, quant à lui, par le Belge Nicolas Gemoets.
Il se clôturera le vendredi 4 octobre avec la Cérémonie de remise des Bayard et autres Prix du Festival de Namur, suivie de la présentation du dernier film du cinéaste français François Ozon : Quand vient l’automne.

Pour tout savoir ou presque sur cette cuvée 2024 du Festival, n’hésitez pas à écouter, ci-dessous, un extrait du dernier numéro de l’émission « Les Cinéfilmes » de la radio Équinoxe !
Nicole Bourdon nous y a accueilli pour préfacer cette édition du Festival de Namur. L’occasion pour nous de tendre notre micro à Nicole Gillet, déléguée générale et directrice de la programmation du FIFF.

Notre préface de la 39e édition du FIFF chez Les Cinéfilmes
Crédit photo : FIFF Namur – Fabrice Mertens

C’était un plaisir de retrouver Nicole Bourdon après un premier passage dans son émission en mars dernier, en présence de sa coanimatrice Joséphine Nefontaine, cette fois-là, pour présenter le dernier long métrage réalisé par le Belge Xavier Seron, Chiennes de vies, et son cinéma.
Merci à Nicole pour son invitation et à Christophe Marchal, l’ingénieur du son d’Équinoxe !

CONCOURS EN CINÉMASCOPE AU 39e FIFF

Cette année, en partenariat avec le Festival de Namur, nous vous offrons 6 x 2 places pour la séance de votre choix !

Pour ce faire, rien de plus simple :
il vous suffit de nous envoyer, avant ce mercredi 25 septembre à 22h, un mail dans lequel vous mentionnez votre prénom et votre nom et ceux de votre invité(e), à l’adresse jean-philippe[arobase]encinemascope.be . Les gagnant(e)s seront tirés au sort et contacté(e)s le jour-même par retour de mail, leurs places leur étant envoyées via ce même canal.

Nous vous souhaitons un excellent voyage au cœur du cinéma francophone ! L’occasion de rencontrer, sur les écrans namurois du Caméo ou du Delta ou dans les rues de Namur, des invités tels que Michel Hazanavicius, Hélène Vincent, François Ozon, Guillaume Senez, Romain Duris, Laurent Lafitte, Benjamin Lavernhe, Vincent Cassel ou encore Diane Kruger.

Plus d’infos : fiff.be

Jean-Philippe Thiriart

ÀMA GLORIA : interview de la réalisatrice Marie Amachoukeli

ÀMA GLORIA : interview de la réalisatrice Marie Amachoukeli 2560 1350 Jean-Philippe Thiriart

Vrai film de cinéma bénéficiant d’une magnifique photo et d’un travail sur la lumière pour le moins abouti, àma GLORIA nous fait passer du rire aux larmes avec beaucoup de pudeur.
Marie Amachoukeli signe un film à hauteur d’enfant, avec des comédiens et des comédiens au jeu empreint de justesse, la jeune Louise Mauroy-Panzani en tête, qui livre une véritable performance d’actrice.

Crédits vidéo : Lionel Callewaert (captation) et Jean-Philippe Thiriart (journaliste et montage)

Nous avons rencontré la réalisatrice de ce film toujours présent dans nos salles lors de la dernière édition du Brussels International Film Festival (BRIFF). Un film qui a ouvert, cette année, la 62e Semaine de la Critique du Festival de Cannes.

Elle nous a parlé de son travail avec Inès Tabarin, sa directrice de la photographie. Ensuite, Marie Amachoukeli nous a expliqué comme elle était parvenue à tourner ce film à hauteur d’enfant, mettant notamment en avant sa collaboration avec Laure Roussel, la coach enfant du film. Nous lui avons, par après, demandé de définir sa direction d’acteurs et d’actrices. Elle a, alors, accepté de donner un grand conseil à l’attention de celles et ceux qui ont, elles et eux aussi, le souhait de raconter des histoires via le medium qu’elle a choisi : le cinéma. Enfin, nous sommes revenus ensemble sur la présence cette année à Cannes de àma GLORIA.

Louise Mauroy-Panzani livre une véritable performance d’actrice

Et pour connaître les horaires des séances en salles, c’est par ici !

Jean-Philippe Thiriart

Crédits vidéos :
Captation : Lionel Callewaert
Journaliste et montage : Jean-Philippe Thiriart

LE SYNDROME DES AMOURS PASSÉES, en salles, et UNE VIE DÉMENTE, en DVD ? DES CHOSES EN COMMUN !

LE SYNDROME DES AMOURS PASSÉES, en salles, et UNE VIE DÉMENTE, en DVD ? DES CHOSES EN COMMUN ! 1200 675 Jean-Philippe Thiriart

Le Syndrome des amours passées, le nouveau film du duo Ann Sirot-Raphaël Balboni – leur dixième, déjà, courts et longs métrages confondus -, entame aujourd’hui sa troisième semaine dans les salles belges. Avant une sortie française programmée le mercredi 25 octobre.

L’occasion pour nous de vous présenter leur dernier bébé, mais aussi de faire un focus sur leurs deux films précédents. Avec différentes interviews, aux Magritte du Cinéma et au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), autour de leur premier long métrage – Une vie démente – et du DVD du film. Et une rencontre dans le cadre de la diffusion au Festival International du Film de Bruxelles (BRIFF) de leur dernier court : Des Choses en commun.

Une vie démente

Le DVD

Crédit vidéo : Harald Duplouis (image et montage)

Distribué par Imagine, le DVD de Une vie démente comprend deux fort sympathiques bonus, à savoir les deux derniers courts métrages signés par Ann Sirot et Raphaël Balboni : Avec Thelma (Magritte 2018 du Meilleur court métrage de fiction) et Des Choses en commun (un des quatre courts métrages issus du premier volume de La Belge Collection)

Des interviews aux Magritte du Cinéma et…

Pas moins de sept statuettes pour Une vie démente lors des 11e Magritte du Cinéma !
Crédit vidéo : Gerardo Marra (image et montage)

… au FIFF !

C’est lors du 35e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) que nous avons rencontré l’équipe d’Une vie démente pour la première fois. Présenté en sélection officielle, le film avait ouvert le Festival.

Nous avions tendu notre micro à Ann Sirot et Raphaël Balboni, ainsi qu’à leur quatuor de comédiennes et de comédiens : Lucie Debay et Jean Le Peltier, et Jo Deseure et le regretté Gilles Remiche.

Et n’hésitez pas à découvrir notre critique d’Une vie démente !

Des Choses en commun

Crédit photo : BRIFF 2020 – Claire Zombas

Aux côtés du film Des Choses en commun, dans La Belge Collection – Volume 1, figurent trois autres courts métrages : Mieux que les rois et la gloire, de Guillaume Senez, Rien lâcher, de Laura Petrone et Guillaume Kerbusch, et Sprötch, de Xavier Seron.

Le Syndrome des amours passées

Le film est encore à l’affiche d’une dizaine de salles belges.

Pour vous donner envie de découvrir celui-ci au cinéma, nous vous proposons de partir à la rencontre du duo Ann Sirot-Raphaël Balboni, et à celle du couple que forment, à l’écran, la comédienne Lucie Debay et le comédien Lazare Gousseau.

Nous avons réalisé ces interviews avec Harald Duplouis pour Cinergie.

Crédit vidéo : Cinergie – Harald Duplouis (image et montage)

Jean-Philippe Thiriart

Rencontre avec Pierre Jolivet, réalisateur du film engagé LES ALGUES VERTES

Rencontre avec Pierre Jolivet, réalisateur du film engagé LES ALGUES VERTES 1920 1080 Jean-Philippe Thiriart

LE film engagé de cette semaine cinéma, réalisé par un cinéaste qui ne l’est pas moins ? Les Algues vertes, de Pierre Jolivet !
Ce dernier signe ici son – déjà – dix-huitième long métrage.
Un film coscénarisé avec Inès Léraud, l’autrice de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, qui a inspiré ce film de fiction. Publiée par la Revue dessinée – Delcourt, la BD est illustrée par Pierre Van Hove.

Cette réalisation a de nombreux atouts, notamment une belle mise en images signée par le Belge Olivier Boonjing et une interprétation très juste de Céline Sallette, Nina Meurisse ou encore Jonathan Lambert.

Nous avons récemment rencontré le metteur en scène lors de la sixième édition du Brussels International Film Festival (BRIFF), où le film était présenté dans le cadre de la sélection « Green Planet ».

Nous avons d’abord demandé à Pierre Jolivet pourquoi il avait choisi de réaliser un long métrage de fiction à partir de la BD originelle. Il nous a ensuite parlé du travail de coscénarisation du film avec Inès Léraud. Par après, il nous a dit quel directeur d’acteurs il est. Rayon acteurs toujours, il s’est arrêté sur son choix de Céline Sallette pour interpréter son Inès Léraud à l’écran. Enfin, il a évoqué la belle relation qui l’unit à son fils Adrien, acteur dans Les Algues vertes et auteur de la musique originale du film.


Bon visionnage !

Jean-Philippe Thiriart

Crédit photo : Lionel Callewaert

Prix French Touch du Jury de la Semaine de la Critique à Cannes pour IL PLEUT DANS LA MAISON : retour en interviews sur le premier film de Paloma Sermon-Daï, PETIT SAMEDI

Prix French Touch du Jury de la Semaine de la Critique à Cannes pour IL PLEUT DANS LA MAISON : retour en interviews sur le premier film de Paloma Sermon-Daï, PETIT SAMEDI 1920 1080 Jean-Philippe Thiriart

La 76e édition du Festival de Cannes s’est clôturée avant-hier. Section indépendante importante de la grand-messe du cinéma consacrée à la découverte de jeunes talents de la création cinématographique, la Semaine de la Critique a notamment sacré cette année Il pleut dans la maison, premier long métrage de fiction de la Belge Paloma Sermon-Daï. Le jury de la Semaine lui a en effet décerné son Prix French Touch.

Nous n’avons pas encore pu découvrir Il pleut dans la maison mais c’est l’occasion pour nous de revenir sur le premier long métrage de la réalisatrice namuroise. Il s’agit cette fois d’un documentaire : Petit Samedi.
Nous avions interviewé Paloma à l’issue du 35e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), où elle avait reçu le Bayard d’Or, récompense suprême du Festival de la capitale wallonne, mais aussi le Prix Agnès de l’imaginaire égalitaire, venu récompenser le regard original et novateur dont son œuvre témoigne. Le FIFF, où aura d’ailleurs sans doute lieu la première belge de Il pleut dans la maison.
Nous avions à nouveau tendu notre micro à la jeune réalisatrice l’année dernière, lors des 11e Magritte du Cinéma, où son Petit Samedi avait remporté le Magritte du Meilleur documentaire.

Paloma Sermon-Daï et Petit Samedi aux 11e Magritte du Cinéma…

Crédit vidéo : Gerardo Marra

… et au 35e FIFF !

Le FIFF consacre Petit Samedi !

À Namur, Petit Samedi avait donc d’abord remporté le Prix Agnès de l’imaginaire égalitaire. Membre du Jury Longs métrages, l’actrice française Daphné Patakia déclarait que ce dernier avait « trouvé un des deux personnages principaux du film très inspirants ». Avant d’ajouter que « nous manquons de ce genre de personnages au cinéma ».

Très contente, Paloma Sermon-Daï déclara : « Je remercie mes producteurs, qui m’ont fait confiance pour ce premier long métrage. Je pense évidemment à ma famille et à mes proches. Je pense très fort à ma maman et à mon frère, sans qui ce film n’existerait pas. Je les remercie énormément d’avoir partagé leur histoire. Je voudrais aussi remercier, symboliquement, l’équipe technique. Je pense notamment à Frédéric Noirhomme, Thomas Grimm-Landsberg, Fabrice Osinski, Lenka Fillnerova et Aline Gavroy. Je remercie le FIFF et je vous remercie tous ; merci beaucoup ! »

Le moment venu de décerner le Bayard d’Or, ce fut au tour du réalisateur français Samuel Benchetrit, président du Jury Longs métrages, de prendre la parole. Son jury a vu dans Petit Samedi « un film d’une pudeur incroyable, bouleversant, qui est à la fois très drôle et merveilleusement filmé ». Il précisa ensuite ceci : « C’est un prix que l’on remet à l’unanimité du jury. Et je pense que c’est une réalisatrice dont on va entendre parler très longtemps. »

Ravie, la réalisatrice andennaise répondit ceci : « Je ne m’y attendais vraiment pas. Je ne pensais pas devoir me relever. Merci beaucoup ! Je remercie encore une fois mes producteurs – Alice (Lemaire) et Sébastien (Andres) –, les coproducteurs, le WIP, Take Five, Dérives et tous nos partenaires. Je remercie encore une fois l’équipe technique. Je remercie tous les membres de ma famille, et, évidemment, Adriana, qui m’accompagne au quotidien, qui me soutient. Je pense énormément à ma mère et à mon frère. Et je pense évidemment à toutes les familles et à toutes les personnes qui vivent la même chose et qui n’ont pas de voix. J’espère très sincèrement que ce film leur permettra de se sentir écoutés. Et que notre parcours associatif permettra à ma famille, mais aussi à d’autres, de trouver une parole. Je vous remercie tous ! Je suis très touchée ! »

La réalisatrice de Petit Samedi, Bayard d’Or du 35e FIFF, entourée du jury qui l’a récompensée
Crédit photo : Nicolas Simoens


Notre interview de Paloma Sermon-Daï au Festival de Namur


En Cinémascope : Paloma, félicitations pour ces deux prix ! Le Bayard d’Or mais, aussi, le Prix Agnès. Le Bayard d’Or, c’est évidemment la récompense suprême, mais ce Prix Agnès, c’est quoi pour vous ?

Paloma Sermon-Daï : Je suis très contente, qu’on ait mis à l’honneur le rôle de ma mère. Je suis très contente d’avoir montré un cinéma un peu différent et d’avoir donné une parole, je l’espère, nouvelle, à une mère en difficulté, à une mère et à une famille en difficulté. Et, enfin, je suis très contente d’avoir ce prix dans notre région car je suis andennaise.

Comment présenteriez-vous votre film ?

C’est un film qui suit le quotidien de mon frère, qui se bat contre ses addictions, avec le parti pris de traiter de l’addiction avec le regard de la famille. Avec, au cœur, la relation mère-fils. J’ai essayé de parler d’amour.

Le jury a été unanime. Un long silence s’est installé après leur découverte de votre film. Leur discussion n’a pas été très longue quand ils ont dû choisir quel film sortait vraiment du lot : ce fût le vôtre !

Ça me fait évidemment très plaisir. Je suis très touchée. C’est un film qui fait qu’on est d’accord ou pas avec ce qui s’y dit. Mais quand on est d’accord, on est vraiment d’accord. C’est le retour qu’on a jusqu’à présent. Les gens nous disent être vraiment très touchés. Et ça nous fait plaisir !

Jean-Philippe Thiriart

Crédit vidéo : Gerardo Marra
Crédit photo : Nicolas Simoens

DUELLES et GIRL, ce soir en TV : interviews des équipes de film aux Magritte du Cinéma

DUELLES et GIRL, ce soir en TV : interviews des équipes de film aux Magritte du Cinéma 2560 1704 Jean-Philippe Thiriart

À cinq jours de la 12e Cérémonie des Magritte du Cinéma, la RTBF se met aux couleurs du cinéma belge. Pendant toute la semaine, La Une, Tipik et La Trois hisseront haut les couleurs de notre septième art !

Les Magritte du Cinéma seront cette année diffusés sur AUVIO et en direct sur La Trois le 4 mars prochain.

En fiction, le cinéma belge sera à mis l’honneur dès aujourd’hui, sur La Une, avec une Séance VIP double de qualité. Celle-ci démarrera avec le film Duelles d’Olivier Masset-Depasse. À l’affiche de ce film qui a remporté 9 Magritte en 2020, faisant de lui le plus primé depuis la création des Magritte du Cinéma : Anne Coesens et Veerle Baetens.

Programmé à 20h30, Duelles est un thriller au suspense angoissant, adapté du roman de Barbara Abel Derrière la haine.

Duelles sera suivi de Girl de Lukas Dhont, dont le dernier film, Close a été couronné du Grand Prix au dernier Festival de Cannes, ex-aequo avec Stars at Noon de Claire Denis. Close fait partie cette année des favoris des Magritte, avec dix nominations, et est en lice aux Oscars.
Victor Polster et Arieh Worthalter sont les deux comédiens principaux de Girl.

Film touchant et fort sur la quête d’identité d’une jeune fille enfermée dans un corps de garçon, Girl sera diffusé à 22h10.

Jean-Philippe Thiriart

Crédit photo : Rick Mc Pie
Crédit vidéos : Gerardo Marra

CHIEN, ce soir en TV et sur Auvio : interview de Vanessa Paradis et Samuel Benchetrit au FIFF

CHIEN, ce soir en TV et sur Auvio : interview de Vanessa Paradis et Samuel Benchetrit au FIFF 2560 1709 Jean-Philippe Thiriart

Au casting de Chien, l’avant-dernier film réalisé par le Français Samuel Benchetrit : le génial Vincent Macaigne, notre Bouli Lanners national et une certaine… Vanessa Paradis !

Cette comédie dramatique pour le moins décalée est diffusée ce jeudi 19 janvier à 20h35 sur La Trois, et sera disponible sur Auvio dès demain et jusqu’au 27 janvier.

Cette année-là – c’était en 2017 -, le Bayard du Meilleur comédien avait été attribué à Vincent Macaigne. En l’absence de l’acteur, son réalisateur avait déclaré : « Vincent a à la fois neuf ans et cent ans. Il est insaisissable. »
Un autre Bayard, celui du Meilleur scénario allait, lui-aussi, récompenser Chien puisqu’il alla à Samuel Benchetrit.
Enfin, le Bayard d’Or du Meilleur film était décerné – jamais deux sans trois – à Chien, vous l’aurez compris !

Au terme de la proclamation du palmarès du 32e Festival de Namur, nous avions eu le plaisir de nous entretenir avec l’actrice et chanteuse française Vanessa Paradis et avec Samuel Benchetrit, qui est aussi son compagnon à la ville. N’hésitez pas à découvrir cette interview ci-dessous !

Samuel Benchetrit devant l’œil rieur de Vanessa Paradis

Jean-Philippe Thiriart

Crédit photo : Sylvie Cujas pour En Cinémascope

SPIT’N’SPLIT a 5 ans : critiques du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview du réalisateur

SPIT’N’SPLIT a 5 ans : critiques du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview du réalisateur 1124 749 Jean-Philippe Thiriart

Si Jérôme Vandewattyne est réalisateur, c’est aussi le leader de VHS From Space, groupe de rock grunge psychédélique dont le nouvel album, Cigarette Burns, est sorti le 31 octobre dernier.

Cette année, Jérôme a bouclé le tournage de son nouveau bébé : The Belgian Wave. Le montage image est désormais terminé, pour une sortie du film prévue en 2023. À présent, ce sont au sound design, aux effets spéciaux et à l’étalonnage que s’attellent Jérôme et ses camarades.

Petit scoop : c’est Daniel Bruylandt, qui bosse entre autres régulièrement avec le duo Hélène Cattet – Bruno Forzani, qui travaillera sur le son de The Belgian Wave en postproduction.

Nous vous proposons aujourd’hui un retour sur Spit’n’Split, qui fête ses cinq ans. Au menu : critique du film et du combo Blu-ray – DVD, et interview du réalisateur au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF), où le film avait fait salle comble.

Le film

Spit’n’Split   ★★★

Réalisé par Jérôme Vandewattyne
Avec Jérémy Alonzi, Alan Steffler, Jean-Jacques Thomsin, David D’inverno, Bouli Lanners, Rémy S. Legrand

Documenteur musical
1h26

Lauréat notamment du Prix du Meilleur Docu musical au Festival slovène de Grossmann, à mi-chemin entre documentaire et fiction, Spit’n’Split, qui sent bon la sueur et le rock’n’roll, a été pour nous un véritable coup de cœur ! Il s’agit du premier long métrage de Jérôme Vandewattyne, qu’on avait découvert au BIFFF en 2011 avec son faux trailer She’s a Slut!, et retrouvé un an plus tard dans le cadre des courts-métrages du Collectifff avec Slutterball.

Spit’n’Split se veut être une expérience. Jérôme est parti sur les bases d’un documentaire sur le groupe rock The Experimental Tropic Blues Band. On suit celui-ci en tournée, en répétition, bref, dans les différentes aventures que les membres sont amenés à vivre aux quatre coins de l’Europe avant de sombrer dans une folle fiction. Une aventure humaine qui dérive. Des gars qui jouent ensemble, s’aiment, s’énervent mutuellement, déconnent, s’amusent, affrontent la fatigue et les aléas de la vie de musiciens sur la route jusqu’à s’insupporter… Un ensemble d’éléments et d’expériences qui participent à l’authenticité d’un groupe de rock qui voue sa vie à sa passion. Une authenticité d’ailleurs parfaitement rendue dans le film puisque celui-ci est réalisé de prime abord comme un documentaire brut, spontané, naturel.

Le grain roots sale du film (à l’image de la musique du groupe d’ailleurs) choisi par le réalisateur permet un rendu pour le moins fidèle aux malaises vécus par les personnages à de nombreux moments du métrage. Émouvant et attachant, Spit’n’Split est une ode à la vie de groupe et à l’amitié, mais montre aussi le revers de la médaille et les galères que tout groupe de musique un tantinet sérieux a déjà sans doute vécu dans sa carrière. Ce docu-fiction va loin, dérange, pue parfois et emmène le spectateur dans une expérience dont il ne ressortira pas totalement indemne. Un film qui regorge d’idées et représente une bien belle claque à destination de tous les amoureux de musique et de cinéma.

Guillaume Triplet

Le combo Blu-ray – DVD

★★★

Le combo Blu-ray – DVD est disponible chez Zeno Pictures. Le Blu-ray reprend le film avec, à disposition, sous-titres français, anglais, espagnol et néerlandais.
Y figure aussi le métrage dans sa version commentée par le réalisateur et les quatre membres du groupe The Experimental Tropic Blues Band.

Parmi les bonus du Blu-ray (pas moins de 1h40 quand même !), quatre volets : Teasers, Clips vidéos, Scènes coupées et Vidéos additionnelles.
Les teasers reprennent une série de visuels conçus pour les médias sociaux, des gift’n’gifts – mise en avant déjantée du LP du groupe sorti dans le cadre de la réalisation du film – et le détournement de la préface de l’édition 2018 des Magritte du Cinéma faite par ce cher Hugues Dayez au journal télévisé de la RTBF.
Les clips vidéo en comptent trois : l’immanquable Baby Bamboo, Roots & Roses et Weird, en version karaoké.
Les scènes coupées sont nombreuses et permettront aux fans du film et de son ambiance atypique de s’en mettre encore plus devant la rétine : 24 en tout.
Les deux vidéos additionnelles, elles, comprennent un enregistrement en studio et le court Alein. Ce dernier met principalement en scène un des membres du groupe – Alan Steffler, qui d’autre ? – et est présentée comme « une série télévisée présentée par des groins de porcs ». Tout un programme !
La vidéo Studio nous invite, quant à elle, à passer une bonne dizaine de minutes avec le groupe au cœur du film, pendant lesquelles on les voit effectuer différents essais avec la décontraction qu’on leur connaît.

Le DVD comprend lui-aussi le film, à nouveau sous-titrable dans les quatre langues mentionnées ci-dessus et les commentaires audios posés sur le film.
Rayon bonus : Alein et Studio.

Jean-Philippe Thiriart

Nos cotes :
☆              Stérile
★              Optionnel
★★          Convaincant
★★★       Remarquable
★★★★    Impératif

L’interview

En Cinémascope : Comment présenterais-tu Spit’n’Split et comment le vendrais-tu ?

Jérôme Vandewattyne : Comme une expérience, avant tout. Comme un film viscéral qui démarre de manière tout à fait classique et qui, petit à petit, bascule littéralement dans la psyché des personnages. Le seul mot d’ordre est le lâcher-prise. Il faut se laisser emmener par le film, qui regorge de faux-semblants. Ce voyage rock’n’roll embarque le spectateur dans des recoins sombres, underground, mais pour aborder des thèmes beaucoup plus universels.

Ton film met en scène le groupe liégeois The Experimental Tropic Blues Band. Pourquoi avoir porté ton choix sur ce groupe-là ?

À la base, je suis fan du groupe. Je les avais découverts à Dour et je trouvais incroyable l’énergie qu’ils transmettaient sur scène. J’avais l’impression de me reconnaître dans ce que je voyais. Je crois d’ailleurs que c’est la force du groupe : fédérer les gens. À la fin du concert, je m’étais promis que je travaillerais un jour avec eux, que je réaliserais un clip pour eux. Mais ça a été plus loin que ça. Grâce à Julien Henry de La Film Fabrique (NdA : D’habitude, Julien réalise leurs clips), j’ai pu travailler sur le show de leur quatrième album, The Belgians, où il avait besoin de monteurs. On a fait beaucoup de Vjing, ce qui consiste à diffuser des vidéos en live pendant que le groupe joue. On a vraiment eu une belle complicité. Ça m’a permis de travailler avec La Film Fabrique et de rencontrer Mathieu Giraud – le monteur du film avec Ayrton Heymans -, qui est arrivé un peu plus tard et dont je reparlerai.

À la suite de ça, j’avais juste envie de prolonger l’expérience, même si celle des Belgians avait déjà duré un an. Il y avait vraiment un esprit de famille qui s’était créé entre la production et les artistes. Du coup, Jérémy Alonzi / Dirty Coq, le guitariste des Tropics, m’a proposé de monter dans le van avec eux. Il m’a dit de prendre ma caméra, de les filmer, de m’amuser, de faire ce que je voulais car il avait vraiment foi en notre vision commune de la liberté artistique. J’avais carte blanche. À l’époque de The Belgians, je leur avais demandé si je pouvais utiliser certains de leurs morceaux pour un prochain film. Mais ils m’ont dit que ce serait compliqué car j’allais devoir payer cher la SABAM au niveau des droits d’auteur. Par contre, ils pourraient composer la musique de mon prochain film. On a donc vraiment eu de grosses discussions musicales et cinématographiques et je me suis dit que si Tropic composait la musique d’un de mes films, je n’avais pas envie que ce soit pour un projet court.

Trois membres du quatuor liégeois The Experimental Tropic Blues Band.

Je rêvais d’un film d’une plus grande ampleur. J’ai donc proposé de faire un long métrage, ce qui les a plutôt fait marrer au début car je n’avais qu’une petite caméra et aucun budget. C’est vrai que je n’avais qu’un petit Canon mais je me suis dit qu’entre ce qu’ils avaient à raconter, le feeling qu’on avait et la synergie qui s’était créée, on avait la possibilité de faire quelque chose de plus fort que simplement se concentrer sur la technique. C’est d’ailleurs aussi comme ça que le groupe compose sa musique. Les membres n’ont pas forcément la toute dernière gratte qui vaut une fortune, mais ils ont cette énergie qui, en live, provoque une sensation de transe. Je voulais vraiment qu’on essaie de capter ça et c’est dans cette même énergie qu’on est parti en tournée et qu’on a commencé à filmer. On a fait une jam.

J’ai pris beaucoup de notes, j’avais une grosse bible avec plein d’idées qu’on essayait et qui fonctionnaient plus ou moins en fonction de ce que nous vivions. Et, naturellement, le film s’est redirigé de lui-même. On avait toujours voulu procéder à ce basculement du documentaire vers la fiction et surprendre les gens, les chambouler. À la base, on voulait partir dans un délire d’horreur à la japonaise mais finalement, on s’est rendu compte que ce qui nous touchait vraiment, c’était justement l’horreur humaine, l’horreur sociale. On a donc laissé tomber toutes les idées gores et on s’est focalisé sur le malaise, sur les mécanismes de l’amitié et ses dérapages. C’est de là qu’est parti Spit’n’Split. Le groupe voulait composer la musique et moi je voulais réaliser un film sur eux, en extrapolant ce qu’ils étaient. On est dans un récit mythomane : il se nourrit du réel pour construire son mensonge.

C’est vrai que Spit’n’Split démarre comme le documentaire d’un réalisateur qui prendrait simplement sa caméra pour filmer un groupe en tournée sur toutes leurs dates et, ensuite, le film part complètement en vrille avec des éléments beaucoup plus fictionnels. Il y a aussi un genre de mélange avec les bandes de notre jeunesse que sont des documentaires comme Strip-Tease ou même des films comme C’est arrivé près de chez vous. Tu avais une volonté d’un mélange des styles entre le documentaire et le film social ?

J’ai l’impression que ça fait partie de nous. Je ne voulais pas faire un film belge pour dire d’en faire un. Dans beaucoup de productions actuelles, on pousse à l’extrême cette « belgitude », ce qui ne me parle pas du tout. Ça me fout même le frisson de la honte, tellement c’est maladroit et à côté de la plaque. Pourtant, en effet, la Belgique suinte dans les œuvres pionnières que tu as citées et pour lesquelles j’ai énormément de respect. Tout comme Calvaire ou Ex Drummer, qui tapent dans le mille et te fracassent le crâne. Je pense que c’est propre à notre culture. Ça ne sert à rien de forcer le trait pour jouer les rigolards : ça se sent à des kilomètres. Il y a cette espèce d’autodérision, une sorte de cocktail entre sarcasme, légèreté, drame et déprime. Et vu qu’on a peu de moyens, ça donne cette esthétique un peu cradasse.

En même temps, je suis certain que si on avait plus de pognon, on mettrait tout dans la reconstitution d’un bar miteux et de verres de Jupiler. En fait, c’est un cercle vicieux dans lequel on se complaît et que je trouve attachant. Pour revenir au film, j’ai essayé de digérer au maximum les références que j’avais, les films et émissions qui m’ont bercé quand j’étais gosse. Je regardais les Strip-Tease avec mes parents mais ça me foutait les boules. Rien que la musique… ça te fout le cafard. Je ne comprenais pas ce que je voyais mais c’était proche de moi. Il y avait ce côté doux-amer qui me plaisait et qui était fascinant, repoussant et magnétique. C’est nous. Tout ce qui est sorti de Spit’n’Split l’a été de lui-même parce que les personnages existent vraiment et s’amusent à brouiller les pistes.

Poupée de cire, poupée de (gros) son

Tu parlais de l’esthétique un peu crade de ton film avec une certaine authenticité. C’est quelque chose qu’on pouvait déjà retrouver dans ton faux trailer She’s A Slut en 2011 ou encore dans Slutterball, ton court-métrage de 2012. Est-ce qu’en termes d’esthétique, de photo ou de réalisation, il y a des réalisateurs qui t’influencent particulièrement ?

Oui. Bien avant She’s A Slut et Slutterball, je vouais un culte aux réalisateurs des « Midnight Movies », ces films inclassables des années 70. Ils ont cette esthétique poisseuse parce qu’ils n’ont pas été faits avec beaucoup d’argent, et dans une totale liberté. C’est une époque que je n’ai pas connue puisque c’était l’âge de la pellicule. Que je le veuille ou non, je suis un enfant du numérique mais l’image numérique ne me parle pas en tant que telle, même si j’y trouve beaucoup d’avantages lors d’un tournage et que c’est de cette manière que j’ai réalisé mes premiers petits films et que je me suis formé. Je suis beaucoup plus sensible à l’esthétique « sale ». Des films comme Massacre à la Tronçonneuse, Tetsuo ou Mad Max m’ont impressionné par leur grain, qui contribue à te remuer les tripes et influencer ton ressenti.

C’est ça que j’essaie de retrouver parce que pour moi, un film est avant tout un plaisir pour les sens et une sorte d’agression. J’ai besoin de ressentir la même émotion qu’en regardant une vieille photo, un peu de nostalgie d’une époque que je n’ai pas vécue mais qui pourtant m’embrase complètement. Je cherche à donner une odeur à l’image. Ça ne m’intéresse pas de faire un film aseptisé. Quand tu vois toutes ces « comédies », principalement françaises, où tu as une affiche avec la tronche de Clavier sur un fond blanc et le titre en rouge, ça ne me fait pas vibrer du tout. J’ai envie d’un truc avec une personnalité. J’ai besoin d’être emmené dans un cadre, dans une lumière, dans des couleurs, dans un univers où la personnalité du réalisateur transpire à chaque plan, à chaque coupe comme si sa vie en dépendait. C’est ce qui me plait dans le cinéma de Takashi Miike, par exemple.

Ouvrez l’œil, et le bon !

Tu veux un cinéma qui dépasse l’image et le son ? Un cinéma plus sensoriel ?

Voilà, tu as mis le mot. Même si « sensoriel », ça veut tout et rien dire en même temps. Un cinéma plus viscéral, organique. Si tu changes un élément de la matière, ça chamboule tout. Je ne cherche pas la complaisance. Je ne cherche pas l’originalité à tout prix parce qu’il y a beaucoup de choses qui ont déjà été faites, au même titre que beaucoup de choses doivent encore être explorées. En fait, c’est ça : je me vois plus comme un explorateur qui cherche à se surpasser plutôt qu’à se comparer. Chacun son chemin, comme on dit.

Pour reprendre sur l’esthétique un peu poisseuse, quelque chose m’a marqué bien avant d’avoir vu le film, c’est son affiche. Peux-tu nous parler de sa conception ?

J’avais cette image de gens nus dans la forêt en tête depuis un moment. Des sortes de clones avec des masques en latex qui rappelleraient les visages des Tropics. Et comme on parlait des influences auparavant, quelqu’un comme Jodorowsky m’a énormément influencé avec La Montagne Sacrée ou encore Santa Sangre. Ces images surréalistes m’ont marqué la rétine. Je voulais une affiche intrigante, avec une personnalité propre. L’image de l’affiche de Spit’n’Split est prise d’une séquence du film : j’ai fait une fixation sur le plan en question. J’ai ensuite travaillé avec Valérie Enderlé avec qui on a fait énormément de patchworks, ce qui me plaisait beaucoup. Et par la suite, j’ai discuté avec le graphiste des Tropics, Pascal Braconnier (Sauvage Sauvage). Il parlait d’aller vers quelque chose de plus épuré car il trouvait la photo déjà très forte comme ça. Il a commencé alors à travailler sur un format plus seventies, inspiré par des affiches comme celle de Taxi Driver. Et mélanger le moderne et l’ancien pour tomber dans quelque chose d’intemporel me fascine. Je me disais que si je voyais ce genre d’affiche dans la rue, avec des gens à poil dans la forêt munis de masques, j’aurais sans doute envie de le voir.
(NDLR : L’ambiance finale de Spit’n’Split est donnée par un plan qui semble avoir plus que fortement inspiré une séquence du film flamand De Patrick, sorti en 2019, soit deux ans après le film de Jérôme. Jugez, par vous-même, avec les visuels ci-dessous…)


Ça attise plus de curiosité encore…

Oui. Peut-être une curiosité morbide, voyeuriste ou juste intrigante. C’était facile mais ça nous a bien servis.

À la vue du film, une des choses qui marque aussi, c’est son montage. C’est parfois à la limite hallucinogène, ça part dans tous les sens et, surtout, il y a une quantité impressionnante de plans. Combien de temps as-tu mis pour faire ce film ?

Ça a pris trois ans entre le moment où le projet est né et la projection du film au BIFFF. En ce qui concerne le montage, je voulais en quelque sorte « droguer » le spectateur. Je voulais qu’il soit emmené dans un monde, le bousculer dans sa tête et le faire passer par des émotions très différentes. Le montage a donc énormément joué là-dessus, et je dois beaucoup aux monteurs, Mathieu Giraud et Ayrton Heymans. Au début du projet, j’ai commencé à monter le film tout seul mais j’étais toujours interrompu car je devais repartir en tournée avec les Tropics. À un moment, je n’avais même plus le temps de dérusher ce que je tournais. Julien Henry m’a alors suggéré de m’entourer d’un deuxième monteur. Sinon, le film aurait pris dix ans à se faire. On avait une très grande quantité de rushes. Je tourne énormément, surtout quand je suis au cœur d’un sujet qui me passionne autant. Conseil plus qu’avisé donc ; merci Juliano !

J’ai alors pris Mathieu, qui montait déjà des clips et des documentaires pour le groupe. Ce qui permettait d’aller droit à l’essentiel car il connaissait très bien la personnalité des musiciens. C’était là pour moi tout l’intérêt : qu’est-ce que Mathieu n’avait pas encore vu de Tropic ? J’avais envie de montrer un autre point de vue sur le groupe que ce qu’on avait déjà pu voir auparavant. Garbage Man et La Bite Électrique, c’est super mais on connaît. Tropic peut raconter d’autres choses : ce sont des artistes entiers aux talents d’acteurs cachés et plus encore. Après ça, un troisième monteur est venu se greffer à l’équipe, Ayrton, qui lui a plus travaillé sur tout ce qui était « fictionnel/surréaliste » (la scène de Rémy l’Homme aux Seins, celle avec les ados, l’opération du nez…). Il portait aussi un regard avisé sur ce que nous expérimentions avec Mathieu. Afin d’être structuré, Mathieu m’a proposé de synthétiser mes journées de tournage, ce qui était un boulot fastidieux mais nécessaire. On visionnait ensemble, je le bombardais d’infos puis il remontait de son côté et me proposait quelque chose. Il a vraiment un regard et un esprit de synthèse ; je lui fais une confiance aveugle. Au bout du compte, on s’est retrouvé avec un film de quatre heures, qu’on a recassé, reconstruit pour pénétrer la matière au plus loin. Le montage a vraiment été un jeu de ping-pong entre nous trois. C’est ce qui apporte la richesse du montage.

On parlait du côté vraiment à cheval entre documentaire et fiction de ton film. N’as-tu pas peur de certaines réactions de spectateurs par rapport à des scènes qui pourraient être interprétées comme étant choquantes et où, justement, le spectateur aurait du mal à se positionner entre réalité et fiction ?

(Temps de réflexion) Si, parce que c’est du rejet, mais c’est un risque que je veux prendre parce que j’ai vraiment foi en ce que nous racontons. En même temps, tu sais, je ne cherche pas le choc pour le choc. Je veux bousculer mais pas dégoûter pour dire de faire le film le plus dégueulasse. Je voulais que les scènes servent le propos. Et je pense que les scènes qui paraissent choquantes, comme l’opération chirurgicale, ont crédibilisé mon propos et brouillé les pistes. Ça permet aux gens de se questionner sur la distance par rapport aux images, avec une pointe d’impertinence. Est-ce qu’on me raconte vraiment la vérité ? Quelle est ma vérité ? Est-ce que ça a vraiment été aussi loin ? Comment le groupe peut-il se laisser filmer dans de telles situations ?

Et quand tu commences à te poser la question de la distance, ça permet de te demander si tu dois prendre pour argent comptant ce qui se passe devant toi. C’est pour ça aussi que je voulais aller de plus en plus loin dans le grotesque jusqu’à arriver sur Bouli Lanners, qui pointe une arme, pour se dire que là ok, on est complètement dans la fiction. Et à partir de là, que les gens se demandent « depuis quand se fout-il de notre gueule ? ». Puis, comme un tour de foire, les emmener encore plus loin et les balancer dans un film expérimental, au-delà de la fiction. C’est un trip. Si tu résistes, ça risque d’être pénible. Ce qui m’intéressait, c’était justement de jouer avec cette frontière floue, de bousculer le spectateur et titiller ses limites, que lui seul connaît.

Tu veux faire réfléchir le spectateur avec Spit’n’Split ?

Oui, d’une certaine manière, s’il peut réfléchir, ça me plaît. Le public qui accède à ce film, dans ce circuit je veux dire, n’est pas idiot et aime se poser des questions sur ce qu’il voit. Maintenant ce n’est pas un film intellectuel non plus. Je veux avant tout que ça reste un divertissement mais s’il peut y avoir une réflexion derrière, qui mène à un débat sur la distanciation de l’image dans les médias, ou même à une réflexion plus mystique, pourquoi pas. Ce qui m’intéresse, c’est de discuter avec les gens sur leur ressenti par rapport au film. Je n’ai juste pas envie qu’ils soient neutres en sortant de la salle. Là, ce serait l’échec. Le but, c’est de passer par toutes sortes d’émotions afin de se remettre en question et de sortir de la fameuse « zone de confort » dont on parle tout le temps.

Et pour enchaîner sur cette partie du débat, quelles ont été les réactions après la projection de ton film ? Les échos sont-ils positifs ou négatifs ? Y a-t-il eu des débats justement ?

Je trouve ça très positif dans l’ensemble car il y a eu beaucoup de réactions fortes. Mais je pense que Spit’n’Split est aussi un film qui doit se digérer. J’ai parlé avec pas mal de monde dans la demi-heure ou l’heure qui ont suivi la projection mais j’ai l’impression que c’est un film qui peut travailler encore quelques jours après. Des réflexions peuvent encore émerger par la suite. Après ça, oui, j’ai eu pas mal de réactions mais je ne m’attendais pas à bénéficier d’un accueil aussi positif en fait. Il semblerait que les gens aient aimé s’être fait avoir, ce qui est génial. Même après le film, les gens se demandaient ce qui était vrai ou faux. Ils avaient l’air assez perturbés par ça alors qu’à la base, avec le groupe et les monteurs, on s’était dit que les gens n’y croiraient jamais. La blague est tellement poussée à l’extrême qu’il était impossible pour nous que les spectateurs croient que c’était vrai. Mais comme ils ne connaissent pas forcément le groupe, certains l’ont pris très au sérieux. Trop peut-être.

Et les discussions après coup sont très passionnées, les gens sont très curieux. Finalement, j’ai l’impression que c’est comme un tour de magie. Il y a quelque chose de magique dans ce film et c’est comme si les gens demandaient au magicien de leur expliquer un tour. Et, au final, après avoir insisté pendant un temps, c’est comme s’ils étaient déçus que je leur explique les coulisses du tournage. Mais vu certaines réactions, il vaut mieux remettre l’église au milieu du village. C’est un film, les membres du groupe ne sont pas des tarés, ce ne sont pas des toxicomanes ou des gens violents et je ne suis pas sadique. Pour tout dire, ce sont de bons pères de famille et la relation entre les membres est tout à fait saine. C’est juste comme si tu filmais des frères qui ont l’habitude de se chamailler et de se rentrer dedans, mais qui s’entendent à merveille.

Tu parles vraiment de ton film avec passion. Est-ce qu’après avoir passé autant de temps sur le projet, tu arrives encore à être objectif par rapport à lui ? Est-ce que lorsque tu regardes ton film maintenant, tu te dis qu’au final, c’était vraiment le film que tu voulais enfanter ?

Objectif, clairement non parce que j’ai trop le nez dedans. Par contre, oui, c’est vraiment le film que je voulais faire, et plus encore, parce que j’alimentais ma « bible » d’idées en tournée, en gardant ce fil rouge qui était de faire un documentaire qui basculerait vers une fiction. Je voulais démarrer sur un genre et conditionner le spectateur pour qu’il se dise que la suite serait identique, pour au final le surprendre et aller vraiment à l’opposé. Et quand je dis que le film était encore plus que ce que je voulais, c’est parce qu’il s’est passé tellement de choses, que ce soit en tournée avec le groupe ou sur le tournage que je me régale en revoyant le film. Car les trois années de sa création ont été très riches en rencontres, en questionnements humains et spirituels. Je suis content d’avoir pu garder le cap mais c’est assez incroyable, ce qui nous est arrivé. C’était un vrai voyage. Je l’ai déjà dit mais je crois que ce film est magique parce qu’il y a eu un truc qui nous a dépassé. Le projet Spit’n’Split (le film et l’album) vit de lui-même et nous a emmenés d’un endroit à l’autre, à travers la Belgique et l’Europe. Il nous a permis de rencontrer énormément de gens. Je ne crois pas que je pourrais refaire ce film parce qu’il est tombé au bon moment, dans une période où le groupe recherchait quelque chose de différent et je me suis nourri des gens que j’ai rencontrés. On a vécu un grand nombre de choses, qui sont bien sûr moins horribles que ce qu’elles paraissent dans l’histoire, mais qui sont véritables, mémorables et qui ont vraiment marqué ma vie.

« C’est pas une tournée, c’est des vacances. C’est les vacances du rock » (Jerms)

Que répondrais-tu aux personnes qui seraient amenées à dire que ton film n’a rien à faire dans un festival comme le BIFFF ?

Je crois que le film était avant tout bien dans sa catégorie, une catégorie que le festival assume complètement et qui est La 7e Parallèle. Cette catégorie est celle des films « étranges ». Et je pense que Spit’n’Split a réellement une dimension étrange. Il y a une partie complètement onirique, distillée un peu partout dans le film. Il y a même un grand méchant qu’on adore détester. C’est très BIFFF tout ça. Et pour ce qui est des mauvaises langues, tu sais…

Crois-tu que les membres de The Experimental Tropic Blues Band montreraient le film à leurs parents ?

Sans doute. Je serais curieux d’avoir leur retour. Moi, en tout cas, je l’ai montré aux miens. Ils étaient là au BIFFF et ils étaient fiers. Ils ont vraiment compris la démarche artistique derrière ce film. On a utilisé des choses que les musiciens avaient en eux pour exorciser des frustrations qu’ils ressentaient mais ça reste une fiction. Et donc ils jouent un rôle, tous.

Tes parents sont donc fiers de leur gamin ?

Très fiers, apparemment, et même émus car ils ne s’attendaient pas à voir une salle aussi remplie et un tel engouement pour le film. Sous des dehors de cancres, on a beaucoup travaillé. Le spectacle d’école est donc bien approuvé, vivement le prochain !

Propos recueillis par Guillaume Triplet

Un dossier préparé par Jean-Philippe Thiriart